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ARTICLE III.

cela a ses racines[1] si vives en nous, que toute notre raison ne peut nous en défendre, et que…

7.

Cromwell[2] allait ravager toute la chrétienté[3] ; la famille royale était perdue, et la sienne à jamais puissante, sans un petit grain de sable[4] qui se mit dans son uretère. Rome même allait trembler sous lui ; mais ce petit gravier s’étant mis là, il est mort, sa famille abaissée, tout en paix[5], et le roi rétabli.

8.

… Sur quoi fondera-t-il[6] l’économie du monde qu’il veut gouverner ? Sera-ce sur le caprice de chaque particulier ? Quelle confusion ! Sera-ce sur la justice ? Il l’ignore.

Certainement s’il la connaissait[7], il n’aurait pas établi cette maxime, la plus générale de toutes celles qui sont parmi les hommes, que chacun suive les mœurs de son pays ; l’éclat de la véritable équité aurait assujetti tous les peuples,

  1. « Ses racines. » Cf. ii, 8, dernière note.
  2. « Cromwell. » Cromwell est mort en 1658 ; Charles II a été rétabli en 1660, deux ans avant la mort de Pascal.
  3. « Ravager toute la chrétienté. » On ne voit pas que Cromwell ait eu de tels projets, ni contre toute la chrétienté, ni contre Rome. Mais on craignait tout de cet hérétique, de ce chef d’une république établie par le meurtre d’un roi.
  4. « Sans un petit grain de sable. » C’est une erreur ; Cromwell n’est pas mort de la gravelle, mais d’une fièvre. — Mont., Apol., p. 48 : « Les pouils sont suffisants pour faire vacquer la dictature de Sylla. » On sait que Sylla est mort de la maladie pédiculaire.
  5. « Tout en paix. » Ces mots, supprimés dans P. R., sont nécessaires pour répondre à ceux-ci : ravager toute la chrétienté. Chaque partie de la première phrase a sa correspondance dans la seconde.
  6. « Sur quoi fondera-t-il. » Le sujet de cette première phrase est sans doute l’homme en général.
  7. « Certainement s’il la connaissait. » Ces idées sont prises de Montaigne, Apol., p. 282 et suivantes : « La droicture et la iustice, si l’homme en cognoissoit qui eust corps et veritable essence, il ne s’attacheroit pas à la condition des coustumes de celte contrée ou de celle-là. » (Voir aussi III, 9, p. 478.)