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ARTICLE III.

l’homme, cette maitresse d’erreur et de fausseté, et d’autant plus fourbe qu’elle ne l’est pas toujours ; car elle serait règle infaillible de vérité, si elle l’était infaillible de mensonge. Mais étant le plus souvent fausse, elle ne donne aucune marque de sa qualité, marquant de même caractère le vrai et le faux.

Je ne parle pas des fous, je parle des plus sages ; et c’est parmi eux[1] que l’imagination a le grand don de persuader les hommes. La raison a beau crier[2], elle ne peut mettre le prix[3] aux choses.

Cette superbe puissance, ennemie de la raison, qui se plait à la contrôler et à la dominer, pour montrer[4] combien elle peut en toutes choses, a établi dans l’homme une seconde nature[5]. Elle a ses heureux, ses malheureux, ses sains, ses malades, ses riches, ses pauvres[6] ; elle fait croire, douter, nier la raison[7] ; elle suspend les sens, elle les fait

    de laquelle est écrit : « Il faut commencer par là le chapitre des Puissances trompeuses. » On ne peut douter que tout ce qui compose ce paragraphe 3 ne dût être compris dans ce chapitre. L’imagination est la première de ces puissances trompeuses. Nicole a substitué partout l’opinion, ne voulant pas sans doute reconnaitre qu’il y ait dans les facultés mêmes de notre esprit une cause d’erreur. Mais Nicole lui-même a écrit un traité du Prisme, ou que les différentes dispositions font juger différemment les objets.

  1. « C’est parmi eux. » Pascal en est quelquefois lui-même une grande preuve.
  2. « A beau crier. » Toujours cette même passion qui anime tout.
  3. « Ne peut mettre le prix. » C’est-à-dire elle ne peut obtenir que ce soit d’après elle qu’on estime ce que les choses valent.
  4. « Pour montrer. » Cela se lie avec la fin de la phrase.
  5. « Une seconde nature. » Cf. ii, 1.
  6. « Ses sains, ses malades, ses riches, ses pauvres. » C’est ce que disaient les stoïciens ; ils pensaient que le sage seul était sain, riche, heureux, même quand il paraissait aux hommes malade, pauvre, misérable. Au contraire, ceux qui n’avaient pas la sagesse ne pouvaient avoir de santé, de richesse ou de bonheur qu’imaginaires.
  7. « Elle fait croire, douter, nier la raison. » La raison est le sujet et non le régime de ces trois verbes. C’est l’imagination qui fait que la raison croit, doute ou nie.