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PASCAL. — PENSÉES.

ne nous font point de tort, puisque ce ne sont pas eux qui en sont cause ; et qu’ils nous font un bien, puisqu’ils nous aident à nous délivrer d’un mal, qui est l’ignorance de ces imperfections. Nous ne devons pas être fâchés qu’ils les connaissent, et qu’ils nous méprisent[1], étant juste et qu’ils nous connaissent pour ce que nous sommes, et qu’ils nous méprisent, si nous sommes méprisables.

Voilà les sentiments qui naîtraient d’un cœur qui serait plein d’équité et de justice. Que devons-nous dire donc du nôtre, en y voyant une disposition toute contraire ? Car n’est-il pas vrai que nous haïssons la vérité et ceux qui nous la disent, et que nous aimons qu’ils se trompent à notre avantage, et que nous voulons être estimés d’eux autres que nous ne sommes en effet ?

En voici une preuve qui me fait horreur[2]. La religion catholique n’oblige pas à découvrir ses péchés indifféremment à tout le monde : elle souffre qu’on demeure caché à tous les autres hommes ; mais elle en excepte un seul, à qui elle commande de découvrir le fond de son cœur, et de se faire voir tel qu’on est. Il n’y a que ce seul homme au monde qu’elle nous ordonne de désabuser, et elle l’oblige à un secret inviolable, qui fait que cette connaissance est dans lui comme si elle n’y était pas. Peut-on s’imaginer rien de plus charitable et de plus doux ? Et néanmoins la corruption de l’homme est telle, qu’il trouve encore de la dureté dans cette loi ; et c’est une des principales raisons

  1. « Et qu’ils nous méprisent. » Supprimé dans les éditions. Pascal devait aller jusque-là. Cependant il est juste de dire que nous ne pourrions accorder aux autres le droit de nous mépriser qu’autant qu’eux-mêmes n’auraient rien de méprisable ; et c’est ce qui ne peut pas être, puisqu’ils sont hommes aussi bien que nous.
  2. « Qui me fait horreur. » Pascal ne prend froidement rien de ce qu’il dit ; ce n’est pas un curieux qui observe : c’est un malade qui sonde sa plaie avec tristesse et dégoût. Le mot d’horreur n’est pas trop fort pour ce qu’il regarde comme une révolte contre Dieu même.