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ARTICLE I.
7.

Il est dangereux de trop faire voir à l’homme combien il est égal aux bêtes, sans lui montrer sa grandeur. Il est encore dangereux de lui trop faire voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l’un et l’autre. Mais il est très-avantageux de lui représenter l’un et l’autre[1].

8.

…Que l’homme[2] maintenant s’estime son prix. Qu’il s’aime, car il a en lui une nature capable de bien ; mais qu’il n’aime pas pour cela les bassesses qui y sont. Qu’il se méprise, parce que cette capacité est vide ; mais qu’il ne méprise pas pour cela cette capacité naturelle. Qu’il se haïsse, qu’il s’aime : il a en lui la capacité de connaître la vérité et d’être heureux ; mais il n’a point de vérité, ou constante, ou satisfaisante[3].

Je voudrais donc porter l’homme à désirer d’en trouver, à être prêt, et dégagé des passions, pour la suivre où il la trouvera, sachant combien sa connaissance s’est obscurcie par les passions ; je voudrais bien qu’il haît en soi la concupiscence qui le détermine d’elle-même[4], afin qu’elle ne l’aveuglât point pour faire son choix, et qu’elle ne l’arrêtât point quand il aura choisi.

  1. « L’un et l’autre. » On trouve, à la suite de cette pensée, cette espèce de variante : « Il ne faut pas que l’homme croie qu’il est égal aux bêtes ni aux anges, ni qu’il ignore l’un et l’autre, mais qu’il sache l’un et l’autre. » Cf. vii, 13.
  2. « Que l’homme. » Cette pensée porte en titre : Contrariétés [c’est-à-dire contraires]. Après avoir montré la bassesse et la grandeur de l’homme.
  3. « Satisfaisante. » C’est-à-dire qui puisse rendre heureux. Mais qu’est-ce que cette capacité qui n’est capable de rien ?
  4. « D’elle-même. » C’est-à-dire sans le conseil de son intelligence, de sa raison.