l’homme, il n’est pas content. C’est la plus belle place du monde : rien ne peut le détourner de ce désir, et c’est la qualité la plus ineffaçable du cœur de l’homme.
Et ceux qui méprisent le plus les hommes, et les égalent aux bêtes, encore veulent-ils en être admirés et crus, et se contredisent à eux-mêmes par leur propre sentiment : leur nature, qui est plus forte que tout, les convainquant de la grandeur de l’homme plus fortement que la raison ne les convainc de leur bassesse.
VIII. — Gloire. — Les bêtes ne s’admirent point[1]. Un cheval n’admire point son compagnon. Ce n’est pas qu’il n’y ait entre eux de l’émulation à la course, mais c’est sans conséquence ; car, étant à l’étable, le plus pesant et le plus mal taillé n’en cède pas son avoine à l’autre, comme les hommes veulent qu’on leur fasse[2]. Leur vertu se satisfait d’elle-même[3].
IX. — La grandeur de l’homme. — La grandeur de l’homme est si visible, qu’elle se tire même de sa misère. Car ce qui est nature aux animaux, nous l’appelons misère en l’homme, par où nous reconnaissons que sa nature étant aujourd’hui pareille à celle des animaux, il est déchu d’une meilleure nature qui lui était propre autrefois[4].
Car qui se trouve malheureux de n’être pas roi, sinon un roi dépossédé[5] ? Trouvait-on Paul-Émile malheureux de n’être plus consul ? Au contraire, tout le monde trouvait qu’il était heureux de l’avoir été, parce que sa condition n’était pas de l’être toujours. Mais on trouvait Persée si malheureux de n’être plus roi, parce que sa condition était de l’être toujours, qu’on trouvait étrange de ce qu’il supportait la vie[6]. Qui se trouve malheureux de n’avoir qu’une bouche ? et qui ne se trouvera malheureux de n’avoir qu’un œil ? On ne s’est peut-être jamais affligé de n’avoir pas trois yeux, mais on est inconsolable de n’en point avoir[7].
X. — Si un animal faisait par esprit ce qu’il fait par instinct, et s’il parlait par esprit ce qu’il parle par instinct, pour la chasse, et pour avertir ses camarades que la proie est trouvée ou perdue, il parlerait bien aussi pour des choses où il a plus
- ↑ Ce n’est pas très sûr.
- ↑ Les animaux le veulent souvent aussi.
- ↑ La vertu des animaux se contente de s’admirer elle-même.
- ↑ Non, il n’a pas changé de nature par le péché originel ; mais il a perdu les dons surnaturels et préternaturels que Dieu lui avait faits.
- ↑ Pas uniquement lui.
- ↑ « Paul-Emile en reprochait à Persée de ce qu’il ne se tuait pas, » dit ailleurs Pascal.
- ↑ Tout cela est spirituellement dit, mais ne prouve pas que les misères d’ici-bas soient contre nature, et que Dieu n’ait pu, s’il l’eût voulu, nous créer primitivement avec ces misères extérieures et corporelles.
