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chapitre premier.

est inutile et stérile[1]. Quand un homme serait persuadé que les proportions des nombres sont des vérités immatérielles, éternelles, et dépendantes d’une première vérité en qui elles subsistent, et qu’on appelle Dieu, je ne le trouverais pas beaucoup avancé pour son salut[2].

IX. — Ordre. — Les hommes ont mépris pour la religion, ils en ont haine, et peur qu’elle soit vraie. Pour guérir cela, il faut commencer par montrer que la religion n’est point contraire à la raison ; vénérable, en donner respect ; la rendre ensuite aimable, faire souhaiter aux bons qu’elle fût vraie ; et puis, montrer qu’elle est vraie[3].

Vénérable, parce qu’elle a bien connu l’homme ; aimable, parce qu’elle promet le vrai bien.

X. — Quand on veut reprendre avec utilité, et montrer à un autre qu’il se trompe, il faut observer par quel côté il envisage la chose, car elle est vraie ordinairement de ce côté-là, et lui avouer cette vérité, mais lui découvrir le côté par où elle est fausse. Il se contente de cela, car il voit qu’il ne se trompait pas, et qu’il manquait seulement à voir tous les côtés. Or, on ne se fâche pas de ne pas tout voir. Mais on ne veut pas s’être trompé, et peut-être que cela vient de ce que naturellement l’homme ne peut tout voir, et de ce que naturellement il ne se peut tromper dans le côté qu’il envisage[4] ; comme, les appréhensions des sens sont toujours vraies[5].

XI. — Ordre. — … J’aurais bien pris ce discours d’ordre[6] comme celui-ci : pour montrer la vanité de toutes sortes de conditions, montrer la vanité des vies communes, et puis la vanité des vies philosophiques (pyrrhoniennes, stoïques) ; mais l’ordre ne serait pas gardé. Je sais un peu ce que c’est, et combien peu de gens l’entendent. Nulle science humaine ne le peut garder. Saint Thomas ne l’a pas gardé[7]. La mathématique le garde, mais elle est inutile en sa profondeur.

XII. — Première partie : Misère de l’homme sans Dieu.

Seconde partie : Félicité de l’homme avec Dieu.

Autrement, Première partie : Que la nature est corrompue. Par la nature même[8].

  1. Toujours la même erreur.
  2. Il le serait néanmoins, sinon beaucoup, du moins réellement.
  3. Louis Racine s’est inspiré de cette pensée dans son Poème de la Religion ; il le déclare lui-même en sa préface.
  4. Théorie favorable au système moderne des nuances remplaçant la vérité.
  5. A de certaines conditions toutefois.
  6. J’aurais bien mis un ordre plus serré dans cette apologie.
  7. Plût à Dieu toutefois que tous les philosophes fussent aussi logiques que le Docteur d’Aquin !
  8. Le prouver par la nature même.