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pensées de blaise pascal.

une fois l’esprit a vu où est la vérité, afin de nous abreuver et nous teindre de cette créance, qui nous échappe à toute heure ; car d’en avoir toujours les preuves présentes, c’est trop d’affaire. Il faut acquérir une créance plus facile, qui est celle de l’habitude, qui, sans violence, sans art, sans argument, nous fait croire les choses, et incline toutes nos puissances à cette croyance, en sorte que notre âme y tombe naturellement. Quand on ne croit que par la force de la conviction, et que l’automate est incliné à croire le contraire, ce n’est pas assez. Il faut donc faire croire nos deux pièces ; l’esprit, par les raisons, qu’il suffit d’avoir vues une fois en sa vie ; et l’automate, par la coutume, et en ne lui permettant pas de s’incliner au contraire. Inclina cor meum, Deus[1].

VIII. — Préface. — Les preuves de Dieu métaphysiques sont si éloignées du raisonnement des hommes, et si impliquées, qu’elles frappent peu ; et quand cela servirait à quelques-uns, ce ne serait que pendant l’instant qu’ils voient cette démonstration, mais une heure après ils craignent de s’être trompés[2].

Quod curiositate cognoverint superbia amiserunt[3].

C’est ce que produit la connaissance de Dieu qui se tire sans Jésus-Christ, qui[4] est de communiquer sans médiateur avec le Dieu qu’on a connu sans médiateur. Au lieu que ceux qui ont connu Dieu par médiateur connaissent leur misère.

Jésus-Christ est l’objet de tout et le centre où tout tend. Qui le connaît, connaît la raison de toutes choses.

Ceux qui s’égarent ne s’égarent que manque de voir une de ces deux choses. On peut donc bien connaître Dieu sans sa misère, et sa misère sans Dieu, mais on ne peut connaître Jésus-Christ sans connaître tout ensemble et Dieu et sa misère.

Et c’est pourquoi je n’entreprendrai pas ici de prouver par des raisons naturelles, ou l’existence de Dieu, ou la Trinité[5], ou l’immortalité de l’âme, ni aucune des choses de cette nature ; non seulement parce que je ne me sentirais pas assez fort pour trouver dans la nature de quoi convaincre des athées endurcis, mais encore parce que cette connaissance, sans Jésus-Christ,

  1. « Inclinez mon cœur, ô Dieu. » (Ps. cxviii, 36.) On voit le danger de cette croyance automatique, aveugle. Où sont désormais la certitude, la liberté et le mérite de la foi ? L’homme obéissant à la coutume et non à l’évidence, que peut-il savoir et à qui peut-il se confier ? Et quelle différence Pascal peut-il mettre entre les chrétiens par coutume et les chrétiens par conviction ?
  2. Nullement. Ces preuves sont bonnes, solides et approuvées par l’Église qui a blâmé les traditionalistes de les avoir méprisées.
  3. « Ce qu’ils ont appris par curiosité, ils l’ont perdu par orgueil. » Remarque relative au texte de saint Paul sur les philosophes païens. (Rom. I, 21-32.)
  4. Qui est se rapporte à ce que produit, et désigne l’effet de la connaissance de Dieu sans J.-C.
  5. La Trinité est un mystère qui ne se prouve pas naturellement.