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chapitre premier.

les exemples plus clairs et aidant à le montrer. Ainsi, quand on veut montrer une chose générale, il faut en donner la règle particulière d’un cas : mais si on veut montrer un cas particulier, il faudra commencer par la règle générale. Car on trouve toujours obscure la chose qu’on veut prouver, et claire celle qu’on emploie à la preuve : car, quand on propose une chose à prouver, d’abord on se remplit de cette imagination qu’elle est donc obscure, et, au contraire, que celle qui la doit prouver est claire, et ainsi on l’entend aisément[1].

V. — Il y a deux manières de persuader les vérités de notre religion : l’une par la force de la raison, l’autre par l’autorité de celui qui parle[2]. On ne se sert pas de la dernière, mais de la première. On ne dit pas : « Il faut croire cela ; car l’Écriture, qui le dit, est divine ; » mais on dit qu’il le faut croire par telle et telle raison, qui sont de faibles arguments, la raison étant flexible à tout.

VI. — La conduite de Dieu, qui dispose toutes choses avec douceur, est de mettre la religion dans l’esprit par les raisons, et dans le cœur par la grâce. Mais de la vouloir mettre dans l’esprit et dans le cœur par la force et par les menaces, ce n’est pas y mettre la religion, mais la terreur, terrorem potius quam religionem[3].

VII. — … Car il ne faut pas se méconnaître, nous sommes automate autant qu’esprit[4] ; et de là vient que l’instrument par lequel la persuasion se fait n’est pas la seule démonstration. Combien y a-t-il peu de choses démontrées ! Les preuves ne convainquent que l’esprit. La coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues ; elle incline l’automate, qui entraîne l’esprit sans qu’il y pense. Oui a démontré qu’il sera demain jour, et que nous mourrons ? et qu’y a-t-il de plus cru ? C’est donc la coutume qui nous en persuade, c’est elle qui fait tant de Chrétiens[5], c’est elle qui fait les Turcs, les Païens, les métiers, les soldats, etc. Enfin, il faut avoir recours à elle quand

  1. On ne peut toutefois nier que certaines choses ne soient plus claires en elles-mêmes que d’autres.
  2. Avant la foi, la raison est pourtant nécessaire, et elle n’est pas si vacillante que le suppose Pascal.
  3. « La terreur plutôt que la religion. »
  4. « M. Pascal parlait peu de sciences : cependant, quand l’occasion s’en présentait, il disait son sentiment sur les choses dont on lui parlait. Par exemple, sur la philosophie de M. Descartes, il disait assez ce qu’il pensait ; il était de son sentiment sur l’automate, et n’en était point sur la matière subtile, dont il se moquait fort ; mais il ne pouvait souffrir sa manière d’expliquer la formation de toutes choses, et il disait très souvent : Je ne puis pardonner à Descartes ; il voudrait bien, dans toute sa philosophie, se pouvoir passer de Dieu ; mais il n’a pu s’empêcher de lui accorder une chiquenaude pour mettre le monde en mouvement ; après cela il n’a plus que faire de Dieu. » (Extrait d’un Mémoire de Marguerite Périer.)
  5. Qui n’ont pas de conviction personnelle, suivant Pascal.