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pensées de blaise pascal.

réprouvés, et assez de clarté pour les condamner et les rendre inexcusables. (Saint Augustin, Montaigne, Sebonde[1].)

XII. — Si le monde subsistait pour instruire l’homme de Dieu[2], sa divinité reluirait de toutes parts d’une manière incontestable[3] ; mais, comme il ne subsiste que par Jésus-Christ et pour Jésus-Christ[4], et pour instruire les hommes et de leur corruption et de leur rédemption, tout y éclate des preuves de ces deux vérités. Ce qui y paraît ne marque ni une exclusion totale ni une présence manifeste de divinité, mais la présence d’un Dieu qui se cache[5] : tout porte ce caractère.

S’il n’avait jamais rien paru de Dieu, cette privation éternelle serait équivoque, et pourrait aussi bien se rapporter à l’absence de toute divinité, ou à l’indignité où seraient les hommes de la connaître. Mais de ce qu’il paraît quelquefois, et non pas toujours, cela ôte l’équivoque. S’il paraît une fois, il est toujours ; et ainsi on n’en peut conclure, sinon qu’il y a un Dieu, et que les hommes en sont indignes[6].

XIII. — … Il est donc vrai que tout instruit l’homme de sa condition, mais il le faut bien entendre : car il n’est pas vrai que tout découvre Dieu, et il n’est pas vrai que tout cache Dieu. Mais il est vrai tout ensemble qu’il se cache à ceux qui le tentent, et qu’il se découvre à ceux qui le cherchent, parce que les hommes sont tout ensemble indignes de Dieu, et capables de Dieu ; indignes par leur corruption, capables par leur première nature[7].

XIV. — S’il n’y avait point d’obscurité, l’homme ne sentirait pas sa corruption ; s’il n’y avait point de lumière, l’homme n’espérerait point de remède. Ainsi, il est non seulement juste, mais utile pour nous, que Dieu soit caché en partie, et découvert en partie, puisqu’il est également dangereux à l’homme de connaître Dieu sans connaître sa misère, et de connaître sa misère sans connaître Dieu.

XV. — Ne vous étonnez pas de voir des personnes simples croire sans raisonner. Dieu leur donne l’amour de soi et la haine d’eux-mêmes. Il incline leur cœur à croire. On ne croira

  1. Dieu, de sa part, veut sincèrement le salut de tous, et il n’a pas de ces calculs sournois que Pascal semble lui attribuer. Peut-être celui-ci voulait-il appuyer son dire de l’exemple de S. Augustin arrivant à la foi, et de Montaigne demeurant sceptique dans son fameux chapitre sur Raymond de Sebonde.
  2. Il en est ainsi, et le monde est une évidente leçon de l’existence de Dieu.
  3. Il en est encore ainsi.
  4. Sans exclure toutefois le but indiqué dans les deux notes précédentes.
  5. Non, Dieu ne se cache pas. Il se révèle au contraire, par le monde, autant que le monde peut révéler son auteur.
  6. Cette prétendue indignité de connaitre Dieu est singulière. Est-on indigne d’avoir un but pour son existence, et de le savoir ?
  7. Voyez les deux notes précédentes.