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chapitre premier.

qu’on en donna[1] fut la circulation du sang, pour rendre raison pourquoi la veine enfle au-dessous de la ligature[2].

IX. — La coutume est notre nature. Qui s’accoutume à sa foi la croit, et ne peut plus même craindre l’enfer[3], et ne croit autre chose. Oui s’accoutume à croire que le roi est terrible[4]…, etc. Oui doute donc, que notre âme, étant accoutumée à voir nombre, espace, mouvement, croie cela et rien que cela[5] ?

X. — Dieu veut plus disposer la volonté que l’esprit. La clarté parfaite servirait à l’esprit et nuirait à la volonté. Abaisser la superbe.

XI. — Dieu a voulu racheter les hommes, et ouvrir le salut à ceux qui le chercheraient. Mais les hommes s’en rendent si indignes, qu’il est juste que Dieu refuse à quelques-uns, à cause de leur endurcissement[6], ce qu’il accorde aux autres par une miséricorde qui ne leur est pas due. S’il eût voulu surmonter l’obstination des plus endurcis, il l’eût pu, en se découvrant si manifestement à eux, qu’ils n’eussent pu douter de la vérité de son essence, comme il paraîtra au dernier jour, avec un tel éclat de foudres, et un tel renversement de la nature, que les morts ressusciteront, et les plus aveugles le verront.

Ce n’est pas en cette sorte qu’il a voulu paraître dans son avènement de douceur ; parce que tant d’hommes se rendant indignes de sa clémence, il a voulu les laisser dans la privation du bien qu’ils ne veulent pas. Il n’était donc pas juste qu’il parût d’une manière manifestement divine, et absolument capable de convaincre tous les hommes ; mais il n’était pas juste aussi qu’il vînt d’une manière si cachée, qu’il ne pût être reconnu de ceux qui le chercheraient sincèrement. Il a voulu se rendre parfaitement connaissable à ceux-là ; et ainsi, voulant paraître à découvert à ceux qui le cherchent de tout leur cœur, et caché à ceux qui le fuient de tout leur cœur, il tempère sa connaissance, en sorte qu’il a donné des marques de soi visibles à ceux qui le cherchent, et non à ceux qui ne le cherchent pas. Il y a assez de lumière pour ceux qui ne désirent que de voir, et assez d’obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire. Il y a assez de clarté pour éclairer les élus et assez d’obscurité pour les humilier. Il y a assez d’obscurité pour aveugler les

  1. Probablement dans une conversation sur ce sujet, à Port-Royal.
  2. Cette raison est bonne, et sans doute elle était encore niée, du temps de Pascal, au profit de quelque fausse mais ancienne hypothèse.
  3. Il s’agit ici d’une foi purement subjective et aisément fanatique.
  4. Tremblera toujours devant lui.
  5. Heureusement, au delà de ces nombres, espaces et mouvements, notre raison entrevoit, cherche et trouve naturellement l’être infini, le premier et éternel moteur.
  6. Tant qu’un homme est obligé aux commandements de Dieu, il peut certainement les accomplir ; Dieu ne commande rien d’impossible.