Page:Pascal - Pensées, éd. Didiot, 1896.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
64
pensées de blaise pascal.

III. — Il y a une différence universelle et essentielle entre les actions de la volonté et toutes les autres.

La volonté est un des principaux organes de la créance[1] ; non qu’elle forme la créance, mais parce que les choses sont vraies ou fausses, selon la face par où on les regarde. La volonté, qui se plaît à l’une plus qu’à l’autre, détourne l’esprit de considérer les qualités de celles qu’elle n’aime pas à voir : et ainsi l’esprit, marchant d’une pièce avec la volonté, s’arrête à regarder la face qu’elle aime, et ainsi il en juge par ce qu’il y voit.

IV. — Le monde ordinaire a le pouvoir de ne pas songer à ce qu’il ne veut pas songer. « Ne pensez pas aux passages du Messie, » disait le Juif à son fils[2]. Ainsi font les nôtres souvent. Ainsi se conservent les fausses religions ; et la vraie même, à l’égard de beaucoup de gens[3]. Mais il y en a qui n’ont pas le pouvoir de s’empêcher ainsi de songer, et qui songent d’autant plus qu’on l’aura défendu. Ceux-là se défont des fausses religions ; et de la vraie même, s’ils ne trouvent des discours solides.

V. — « J’aurais bientôt quitté les plaisirs, disent-ils, si j’avais la foi. » — Et moi, je vous dis : « Vous auriez bientôt la foi, si vous aviez quitté les plaisirs. Or, c’est à vous à commencer. Si je pouvais, je vous donnerais la foi. Je ne puis le faire, ni partant éprouver la vérité de ce que vous dites. Mais vous pouvez bien quitter les plaisirs, et éprouver si ce que je dis est vrai. »

VI. — Deux sortes de personnes connaissent [Dieu] : ceux qui ont le cœur humilié, et qui aiment la bassesse[4], quelque degré d’esprit qu’ils aient, haut ou bas ; ou ceux qui ont assez d’esprit pour voir la vérité, quelque opposition qu’ils y aient.

VII. — Il y a trois moyens de croire : la raison, la coutume, l’inspiration[5]. La religion chrétienne, qui seule a la raison, ; n’admet pas pour ses vrais enfants ceux qui croient sans inspiration ; ce n’est pas qu’elle exclue la raison et la coutume ; au contraire, mais il faut ouvrir son esprit aux preuves, s’y confirmer par la coutume, mais s’offrir par les humiliations aux inspirations, qui seules peuvent faire le vrai et salutaire effet : Ne evacuetur crux Christi[6].

VIII. — Lorsqu’on est accoutumé à se servir de mauvaises raisons pour prouver des effets de la nature, on ne veut plus recevoir les bonnes lorsqu’elles sont découvertes. L’exemple

  1. Il s’agit du jugement pratique porté sur les choses. Pascal outre ici le rôle de la volonté qui, en réalité, ne peut obscurcir complètement l’évidence.
  2. Un Juif, embarrassé par les questions de son fils sur le Messie.
  3. Pascal devrait dire qu’il y a d’autres moyens de conserver la vraie religion, et que les « discours solides » ne sont ni les seuls ni les plus efficaces.
  4. L’humilité.
  5. C’est-à-dire la grâce intérieure nécessaire à la foi salutaire et surnaturelle.
  6. « Pour ne pas rendre vaine la croix de Jésus-Christ. » (I Cor. l, 17.)