Page:Pascal - Pensées, éd. Didiot, 1896.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
63
chapitre premier.

vous aimez[1] ? C’est le cœur qui sent Dieu, et non la raison[2]. Voilà ce que c’est que la foi : Dieu sensible au cœur et non à la raison[3].

VIII. — Ceux qui sont accoutumés à juger par le sentiment ne comprennent rien aux choses de raisonnement ; car ils veulent d’abord pénétrer d’une vue, et ne sont point accoutumés à chercher les principes. Et les autres, au contraire, qui sont accoutumés à raisonner par principes, ne comprennent rien aux choses de sentiment, y cherchant des principes, et ne pouvant voir d’une vue.

IX. — M. de Roannez[4] disait : « Les raisons me viennent après, mais d’abord la chose m’agrée ou me choque sans en savoir la raison, et cependant cela me choque par cette raison que je ne découvre qu’ensuite. » Mais je crois, non pas que cela choquait par ces raisons qu’on trouve après, mais qu’on ne trouve ces raisons que parce que cela choque[5].

ARTICLE II.
Des dispositions nécessaires pour connaître la vraie religion.

Dispositions intellectuelles. — Dispositions morales, données surtout par Dieu.

I. — Il y a peu de vrais chrétiens, je dis même pour la foi[6]. Il y en a bien qui croient, mais par superstition ; il y en a bien qui ne croient pas, mais par libertinage : peu sont entre deux.

Je ne comprends pas en cela ceux qui sont dans la véritable piété de mœurs, et tous ceux qui croient par un sentiment du cœur[7].

II. — Ce n’est pas une chose rare qu’il faille reprendre le monde de trop de docilité ; c’est un vice naturel comme l’incrédulité, et aussi pernicieux. Superstition[8].

  1. Nous n’admettons pas la possibilité de ce choix. Mais, en tout cas, c’est la raison qui nous fait aimer l’objet qu’elle nous propose et dont elle nous découvre la bonté.
  2. Erreur condamnée au concile du Vatican.
  3. Ce n’est pas du tout la foi. La foi est l’assentiment de la raison surnaturellement éclairée et commandée par la volonté libre, aux vérités que Dieu révèle et que l’Église enseigne.
  4. Grand ami de Pascal.
  5. Nous croyons que Pascal était dans l’erreur, et le duc de Roannez dans le vrai.
  6. Ne soyons pas si pessimistes.
  7. Ceux-là, Pascal veut bien les compter pour de vrais chrétiens, mais il ne les tient pas non plus pour fort nombreux.
  8. Pascal en eût sans doute montré la fréquence.