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pensées de blaise pascal.

[est] aussi ferme qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent. Et c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuye, et qu’elle y fonde tout son discours[1]. Le cœur sent[2] qu’il y a trois dimensions dans l’espace, et que les nombres sont infinis : et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit double de l’autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent ; et le tout avec certitude, quoique par différentes voies. Et il est aussi inutile et aussi ridicule que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes, pour vouloir y consentir, qu’il serait ridicule que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu’elle démontre, pour vouloir les recevoir.

Cette impuissance ne doit donc servir qu’à humilier la raison, qui voudrait juger de tout, mais non pas à combattre notre certitude, comme s’il n’y avait que la raison capable de nous instruire. Plût à Dieu que nous n’en eussions au contraire jamais besoin, et que nous connussions toutes cho.es par instinct et par sentiment ! Mais la nature nous a refusé ce bien, et elle ne nous a au contraire donné que très peu de connaissances de cette sorte ; toutes les autres ne peuvent être acquises que par le raisonnement.

Et c’est pourquoi ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment du cœur sont bien heureux et bien légitimement persuadés. Mais ceux qui ne l’ont pas, nous ne pouvons la [leur] donner que par raisonnement, en attendant que Dieu la leur donne par sentiment de cœur, sans quoi la foi n’est qu’humaine, et inutile pour le salut[3].

VI. — Le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît point ; on le sent en mille choses[4].

VII. — Le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît point[5] ; on le sait en mille choses. Je dis que le cœur aime l’être universel[6] naturellement, et soi-même naturellement, selon qu’il s’y adonne ; et il se durcit contre l’un ou l’autre, à son choix[7]. Vous avez rejeté l’un et conservé l’autre ; est-ce par raison que

  1. A la condition de les contrôler.
  2. Non, ce n’est pas le cœur ; c’est l’intelligence même.
  3. La foi surnaturelle et salutaire est une adhésion à la révélation divine, à cause de la véracité divine, et avec le secours de la grâce divine. C’est en ce sens qu’il faut prendre ce qu’en dit Pascal.
  4. Mais si, en fin de compte, la raison ne peut approuver les raisons du cœur, celles-ci ne valent rien. Elles sont généralement tirées du bien, du beau, du sublime, ou même de la passion ; or la raison en est juge.
  5. Mais qu’elle doit contrôler, si vraiment ce sont des raisons.
  6. L’être tout simplement, sans addition ni détermination. Car nous n’aimons pas naturellement et nécessairement tout être déterminé.
  7. Pascal se trompe ; nous ne pouvons pas ne pas aimer ces deux objets.