Page:Pascal - Pensées, éd. Didiot, 1896.djvu/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
CHAPITRE PREMIER
Préliminaires
De l’esprit humain et de la méthode qu’il doit suivre pour arriver à la vérité chrétienne.

ARTICLE I.
De l’esprit humain. — Diverses sortes d’esprits. — La raison et le cœur.

I. — Différence entre l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse. — En l’un[1], les principes sont palpables, mais éloignés de l’usage commun ; de sorte qu’on a peine à tourner la tête de ce côté-là, manque d’habitude : mais pour peu qu’on l’y tourne, on voit les principes à plein ; et il faudrait avoir tout à fait l’esprit faux pour mal raisonner sur des principes si gros qu’il est presque impossible qu’ils échappent.

Mais, dans l’esprit de finesse, les principes sont dans l’usage commun et devant les yeux de tout le monde. On n’a que faire de tourner la tête ni de se faire violence. Il n’est question que d’avoir bonne vue, mais il faut l’avoir bonne ; car les principes sont si déliés et en si grand nombre, qu’il est presque impossible qu’il n’en échappe. Or, l’omission d’un principe mène à l’erreur : ainsi, il faut avoir la vue bien nette pour voir tous les principes, et ensuite l’esprit juste pour ne pas raisonner faussement sur des principes connus.

Tous les géomètres seraient donc fins s’ils avaient la vue bonne, car ils ne raisonnent pas faux sur les principes qu’ils connaissent ; et les esprits fins seraient géomètres s’ils pouvaient plier leur vue vers les principes inaccoutumés de géométrie.

Ce qui fait donc que de certains esprits fins ne sont pas géomètres, c’est qu’ils ne peuvent du tout se tourner vers les

  1. L’esprit de géométrie.