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préface.

infructueuses. Voilà le sens de ce fragment étendu et développé. Mais il n’y a sans doute personne qui ne prît bien plus de plaisir de le découvrir soi-même dans ces paroles obscures, que de le voir ainsi éclairci et expliqué.

Il est encore, ce me semble, assez à propos, pour détromper quelques personnes qui pourraient peut-être s’attendre de trouver ici des preuves et des démonstrations géométriques de l’existence de Dieu, de l’immortalité de l’âme, et de plusieurs autres articles de la foi chrétienne, de les avertir que ce n’était pas là le dessein de Monsieur Pascal. Il ne prétendait point prouver toutes ces vérités de la religion par de telles démonstrations fondées sur des principes évidents capables de convaincre l’obstination des plus endurcis, ni par des raisonnements métaphysiques qui souvent égarent plus l’esprit qu’ils ne le persuadent, ni par des lieux communs tirés de divers effets de la nature[1] ; mais par des preuves morales qui vont plus au cœur qu’à l’esprit. C’est-à-dire qu’il voulait plus travailler à toucher et à disposer le cœur qu’à convaincre et à persuader l’esprit ; parce qu’il savait que les passions et les attachements vicieux qui corrompent le cœur et la volonté sont les plus grands obstacles et les principaux empêchements que nous ayons à la foi, et que, pourvu qu’on pût lever ces obstacles, il n’était pas difficile de faire recevoir à l’esprit les lumières et les raisons qui pouvaient le convaincre.

L’on sera facilement persuadé de tout cela en lisant ces écrits. Mais Monsieur Pascal s’en est encore expliqué lui-même dans un de ses fragments qui a été trouvé parmi les autres, et que l’on n’a point mis dans ce recueil[2]. Voici ce qu’il dit dans ce fragment : « Je n’entreprendrai pas ici de prouver par des raisons naturelles, ou l’existence de Dieu, ou la Trinité, ou l’immortalité de l’âme, ni aucune des choses de cette nature ; non seulement parce que je ne me sentirais pas assez fort pour trouver dans la nature de quoi convaincre des athées endurcis[3] ; mais encore parce que cette connaissance, sans Jésus-Christ, est inutile et stérile. Quand un homme serait persuadé que les proportions des nombres sont des vérités immatérielles, éternelles, et dépendantes d’une première vérité en qui elles subsistent et qu’on appelle Dieu, je ne le trouverais pas beaucoup avancé pour son salut[4]. »

L’on s’étonnera peut-être aussi de trouver dans ce recueil

  1. Il eût cependant bien fait de rapporter les meilleures de ces preuves, dont plusieurs sont excellentes.
  2. M. Faugère et ses successeurs ont réparé cette omission et beaucoup d’autres.
  3. Triste défaillance d’un grand esprit que le jansénisme avait profondément égaré.
  4. Pascal se trompe. L’Écriture ne lui disait-elle pas : « Celui qui s’approche de Dieu, doit croire tout d’abord qu’il est ? » (Heb., xi, 6.) C’est le point de départ nécessaire.