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préface.

juger de l’ouvrage par l’échantillon, quelque imparfait qu’il fût. Et ainsi l’on se résolut de les donner au public. Mais comme il y avait plusieurs manières de l’exécuter, l’on a été quelque temps à se déterminer sur celle que l’on devait prendre.

La première qui vint dans l’esprit, et celle ciui était sans doute la plus facile, était de les faire imprimer tout de suite dans le même état où on les avait trouvés. Mais l’on jugea bientôt que, de le faire de cette sorte, c’eût été perdre presque tout le fruit qu’on en pouvait espérer, parce que les pensées plus parfaites, plus suivies, plus claires et plus étendues, étant mêlées et comme absorbées parmi tant d’autres imparfaites, obscurs, à demi digérées, et quelques-unes même presque inintelligibles à tout autre qu’à celui qui les avait écrites, il y avait tout sujet de croire que les unes feraient rebuter les autres, et que l’on ne considérerait ce volume, grossi inutilement de tant de pensées imparfaites, que comme un amas confus, sans ordre, sans suite, et qui ne pouvait servir à rien.

Il y avait une autre manière de donner ces écrits au public, qui était d’y travailler auparavant, d’éclaircir les pensées obscures, d’achever celles qui étaient imparfaites, et, en prenant dans tous ces fragments le dessein de M. Pascal, de suppléer en quelque sorte l’ouvrage qu’il voulait faire. Cette voie eût été assurément la plus parfaite ; mais il était aussi très difficile de la bien exécuter. L’on s’y est néanmoins arrêté assez longtemps, et l’on avait en effet commencé à y travailler. Mais enfin l’on s’est résolu de la rejeter aussi bien que la première, parce que l’on a considéré qu’il était presque impossible de bien entrer dans la pensée et dans le dessein d’un auteur, et surtout d’un auteur mort, et que ce n’eût pas été donner l’ouvrage de M. Pascal, mais un ouvrage tout différent.

Ainsi, pour éviter les inconvénients qui se trouvaient dans l’une et l’autre de ces manières de faire paraître ces écrits, l’on en a choisi une entre deux, qui est celle que l’on a suivie dans ce recueil. L’on a pris seulement parmi ce grand nombre de pensées celles qui ont paru les plus claires et les plus achevées ; et on les donne telles qu’on les a trouvées, sans y rien ajouter ni changer[1],

  1. Etienne Périer se trompe. L’édition de 1669-1670 pour laquelle il écrit cette préface, et qui fut publiée par la famille de Pascal, aidée de Nicole, d’Arnauld et du duc de Roannez, n’est qu’une continuelle trahison de Pascal et de son œuvre : suppressions, altérations, bouleversements des idées et des phrases, y abondent avec une audace peu honorable pour Messieurs de Port-Royal plus préoccupés des intérêts de leur secte que de l’authenticité de leur texte. L’édition de l’abbé Bossut, en 1770, contient en plus les « tirades » contre les Jésuites, supprimées cent ans auparavant « dans un esprit de paix » plus ou moins sincère. Mais à ces tirades s’ajoutent bien des passages sortis de la seule imagination du nouvel éditeur. C’est seulement en 1844, grâce à M. Cousin, que M. Faugère a donné le vrai texte des Pensées. MM. Havet en 1852, Ch. Louandre en 1869, Plon en 1873, Molinier en 1877-1879, ont complété son œuvre. Par eux, nous connaissons enfin Pascal.