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préface.

ni l’autre. Car peu de temps après il tomba malade d’une maladie de langueur et de faiblesse qui dura les quatre dernières années de sa vie, et qui, quoiqu’elle parût fort peu au dehors, et qu’elle ne l’obligeât pas de garder le lit ni la chambre, ne laissait pas de l’incommoder beaucoup, et de le rendre presque incapable de s’appliquer à quoi que ce soit : de sorte que le plus grand soin et la principale occupation de ceux qui étaient auprès de lui était de le détourner d’écrire, et même de parler de tout ce qui demandait quelque contention d’esprit, et de ne l’entretenir que de choses indifférentes et incapables de le fatiguer.

C’est néanmoins pendant ces quatre dernières années de langueur et de maladie qu’il a fait et écrit tout ce que l’on a de lui de cet ouvrage qu’il méditait, et tout ce que l’on en donne au public. Car, quoiqu’il attendît que sa santé fût entièrement rétablie pour y travailler tout de bon, et pour écrire les choses qu’il avait déjà digérées et disposées dans son esprit, cependant, lorsqu’il lui survenait quelques nouvelles pensées, quelques vues, quelques idées, ou même quelque tour et quelques expressions qu’il prévoyait lui pouvoir un jour servir pour son dessein, comme il n’était pas alors en état de s’y appliquer aussi fortement qu’il faisait quand il se portait bien, ni de les imprimer dans son esprit et dans sa mémoire, il aimait mieux en mettre quelque chose par écrit pour ne les pas oublier ; et pour cela il prenait le premier morceau de papier qu’il trouvait sous sa main, sur lequel il mettait sa pensée en peu de mots, et fort souvent même seulement à demi-mot, car il ne l’écrivait que pour lui ; et c’est pourquoi il se contentait de le faire fort légèrement, pour ne se pas fatiguer l’esprit, et d’y mettre seulement les choses qui étaient nécessaires pour le faire ressouvenir des vues et des idées qu’il avait.

C’est ainsi qu’il a fait la plupart des fragments qu’on trouvera dans ce recueil : de sorte qu’il ne faut pas s’étonner s’il y en a quelques-uns qui semblent assez imparfaits, trop courts et trop peu expliqués, et dans lesquels on peut même trouver des termes et des expressions moins propres et moins élégantes. Il arrivait néanmoins quelquefois, qu’ayant la plume à la main, il ne pouvait s’empêcher, en suivant son inclination, de pousser ses pensées et de les étendre un peu davantage, quoique ce ne fût jamais avec la force et l’application d’esprit qu’il aurait pu faire en parfaite santé. Et c’est pourquoi l’on en trouvera aussi quelques-unes plus étendues et mieux écrites, et des chapitres plus suivis et plus parfaits que les autres.

Voilà de quelle manière ont été écrites ces Pensées. Et je crois qu’il n’y aura personne qui ne juge facilement, par ces