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préface.

Enfin il lui fait jeter les yeux sur le peuple juif, et il lui en fait observer des circonstances si extraordinaires, qu’il attire facilement son attention. Après lui avoir représenté tout ce que ce peuple a de singulier, il s’arrête particulièrement à lui faire remarquer un livre unique par lequel il se gouverne, et qui comprend tout ensemble son histoire, sa loi et sa religion. A peine a-t-il ouvert ce livre, qu’il y apprend que le monde est l’ouvrage d’un Dieu, et que c’est ce même Dieu qui a créé l’homme à son image, et qui l’a doué de tous les avantages du corps et de l’esprit qui convenaient à cet état. Quoiqu’il n’ait rien encore qui le convainque de cette vérité, elle ne laisse pas de lui plaire ; et la raison seule suffit pour lui faire trouver plus de vraisemblance[1] dans cette supposition qu’un Dieu est l’auteur des hommes et de tout ce qu’il y a dans l’univers, que dans tout ce que ces mêmes hommes se sont imaginé par leurs propres lumières. Ce qui l’arrête en cet endroit, est de voir, par la peinture qu’on lui a faite de l’homme, qu’il est bien éloigné de posséder tous ces avantages qu’il a dû avoir lorsqu’il est sorti des mains de son auteur[2] ; mais il ne demeure pas longtemps dans ce doute ; car, dès qu’il poursuit la lecture de ce même livre, il y trouve qu’après que l’homme eut été créé de Dieu dans l’état d’innocence, et avec toutes sortes de perfections, la première action qu’il fit fut de se révolter contre son créateur, et d’employer tous les avantages qu’il en avait reçus, pour l’offenser.

Monsieur Pascal lui fait alors comprendre que ce crime ayant été le plus grand de tous les crimes en toutes ses circonstances, il avait été puni non seulement dans ce premier homme, qui, étant déchu par là de son état, tomba tout d’un coup dans la misère, dans la faiblesse, dans l’erreur et dans l’aveuglement ; mais encore dans tous ses descendants, à qui ce même homme a communiqué et communiquera encore sa corruption dans toute la suite des temps[3].

Il lui fait ensuite parcourir divers endroits de ce livre où il a découvert cette vérité. Il lui fait prendre garde qu’il n’y est plus parlé de l’homme que par rapport à cet état de faiblesse et de désordre ; qu’il y est dit souvent que toute chair est corrompue, que les hommes sont abandonnés à leurs sens, et qu’ils ont une pente au mal dès leur naissance. Il lui fait voir encore

  1. Ce n’est pas assez. La raison peut découvrir par elle-même que l’homme est une créature de Dieu, faite à son image.
  2. Cet argument repose sur une idée exagérée de la misère actuelle de l’homme, et sur l’opinion janséniste de la nécessité des dons préternaturels et surnaturels dans le premier homme.
  3. Pascal se trompe : ce n’est pas la gravité du péché d’Adam qui a été cause de sa transmission. Et puis, qui croira qu’Adam a été plus criminel en toute façon que Judas le traître et que les juifs déicides ?