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souverain bien. Elle le cherche donc ailleurs, et connaissant par une lumière toute pure qu’il n’est point dans les choses qui sont en elle, ni hors d’elle, ni devant elle, rien donc en elle ni à ses côtés, elle commence à le chercher au-dessus d’elle.

Cette élévation est si éminente et si transcendante qu’elle ne s’arrête pas au ciel, il n’a pas de quoi la satisfaire ; ni au-dessus du ciel, ni aux anges, ni aux êtres les plus parfaits. Elle traverse toutes les créatures, et ne peut arrêter son cœur qu’elle ne se soit rendue jusqu’au trône de Dieu, dans lequel elle commence à trouver son repos et ce bien qui est tel qu’il n’y a rien de plus aimable, et qui ne peut lui être ôté que par son propre consentement.

Car, encore qu’elle ne sente pas ces charmes dont Dieu récompense l’habitude dans la piété, elle comprend néanmoins que les créatures ne peuvent pas être plus aimables que le Créateur ; et sa raison, aidée des lumières de la grâce, lui fait connaître qu’il n’y a rien de plus aimable que Dieu, et qu’il ne peut être ôté qu’à ceux qui le rejettent, puisque c’est le posséder[1] que de le désirer, et que le refuser c’est le perdre.

Ainsi elle se réjouit d’avoir trouvé un bien qui ne peut pas lui être ravi tant qu’elle le désirera, et qui n’a rien au-dessus de soi.

Et, dans ces réflexions nouvelles, elle entre dans la vue des grandeurs de son Créateur, et dans des humiliations et des adorations profondes. Elle s’anéantit en conséquence, et ne pouvant former d’elle-même une idée assez basse, ni en concevoir une assez relevée de ce bien souverain, elle fait de nouveaux efforts pour se rabaisser jusqu’aux derniers abîmes du néant, en considérant Dieu dans des immensités qu’elle multiplie sans cesse. Enfin, dans cette conception qui épuise ses forces, elle l’adore en silence, elle se considère comme sa vile et inutile créature, et par ses respects réitérés l’adore et le bénit, et voudrait à jamais le bénir et l’adorer. Ensuite elle reconnaît la grâce qu’il lui a faite, de manifester son infinie majesté à un si chétif vermisseau ; et après une ferme résolution d’en être éternellement reconnaissante, elle entre en confusion d’avoir préféré tant de vanités à ce divin maître ; et, dans un esprit de componction et de pénitence, elle a recours à sa pitié[2] pour arrêter sa colère, dont l’effet lui paraît épouvantable. Dans la vue de ces immensités,… elle fait d’ardentes prières à Dieu pour obtenir de sa miséricorde que, comme il lui a plu de se découvrir à elle, il lui plaise de la conduire à lui, et lui faire connaître les moyens d’y arriver. Car, comme c’est à Dieu

  1. C’est du moins commencer de le posséder.
  2. A la bonté paternelle de Dieu.