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La première chose que Dieu inspire à l’âme qu’il daigne toucher véritablement, est une connaissance et une vue tout extraordinaire par laquelle l’âme considère les choses et elle-même d’une façon toute nouvelle.

Cette nouvelle lumière lui donne de la crainte, et lui apporte un trouble qui traverse le repos qu’elle trouvait dans les choses qui faisaient ses délices.

Elle ne peut plus goûter avec tranquillité les choses qui la charmaient. Un scrupule continuel la combat dans cette jouissance, et cette vue intérieure ne lui fait plus trouver cette douceur accoutumée parmi les choses où elle s’abandonnait avec une pleine effusion de cœur.

Mais elle trouve encore plus d’amertume dans les exercices de piété que dans les vanités du monde. D’une part, la présence des objets visibles la touche plus que l’espérance des invisibles, et de l’autre la solidité des invisibles la touche plus que la vanité des visibles. Et ainsi la présence des uns et la solidité des autres disputent son affection, et la vanité des uns et l’absence des autres excitent son aversion ; de sorte qu’il naît dans

elle un désordre et une confusion qu’^

Elle considère les choses périssables comme périssantes et même déjà péries ; et dans la vue certaine de l’anéantissement de tout ce qu’elle aime, elle s’effraie dans cette considération, en voyant que chaque instant lui arrache la jouissance de son bien, et que ce qui lui est le plus cher s’écoule à tout moment, et qu’enfin un jour certain viendra, auquel elle se trouvera dénuée de toutes les choses auxquelles elle avait mis son espérance. De sorte qu’elle comprend parfaitement que son cœur ne s’étant attaché qu’à des choses fragiles et vaines, son âme doit se trouver seule et abandonnée au sortir de cette vie, puisqu’elle n’a pas eu soin de se joindre à un bien véritable et subsistant par lui-même, qui pût la soutenir et durant et après cette vie.

De là vient qu’elle commence à considérer comme un néant tout ce qui doit retourner dans le néant : le ciel, la terre ; son

T. (Jet écrit est probablement l’analyse psjxhologique de la conversion de Pascal, rédigée par ce grand homme lui-même, ou par sa sœur Jacqueline. Il a été trouvé dans les papiers de Marguerite Périer qui devait le tenir de sa tante.

2. Certains éditeurs lisent « vanité ».

3. Qu’elle ressent avec une grande tristesse.