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PHILOSOPHIE. 319

prix parmi un grand nombre de faux, mais qu’ils n’en sauraient pas distinguer, se vanteraient [1], en les tenant tous ensemble, de posséder le véritable aussi bien que celui qui, sans s’arrêter à ce vil amas, porte la main sur la pierre choisie que l’on recherche, et pour laquelle on ne jetait pas tout le reste.

Le défaut d’un raisonnement faux est une maladie qui se guérit par ces deux remèdes. On en a composé un autre d’une infinité d’herbes inutiles, où les bonnes se trouvent enveloppées, et où elles demeurent sans effet, par les mauvaises qualités de ce mélange [2].

Pour découvrir tous les sophismes et toutes les équivoques des raisonnements captieux, ils ont inventé des noms barbares [3] qui étonnent ceux qui les entendent; et au lieu qu’on ne peut débrouiller tous les replis de ce nœud si embarrassé qu’en tirant l’un des bouts que les géomètres assignent, ils en ont marqué un nombre étrange d’autres où ceux-là se trouvent compris, sans qu’ils sachent lequel est le bon. Et ainsi, en nous montrant un nombre de chemins différents qu’ils disent nous conduire où nous tendons, quoique il n’y en ait que deux qui y mènent, il faut savoir les marquer en particulier. On prétendra que la géométrie, qui les assigne certainement, ne donne que ce qu’on avait déjà des autres, parce qu’ils donnaient en effet la même chose et davantage, sans prendre garde que ce présent perdait son prix par son abondance et qu’il ôtait en ajoutant.

Rien n’est plus commun que les bonnes choses : il n’est question que de les discerner; et il est certain qu’elles sont toutes naturelles et à notre portée, et même connues de tout le monde, mais on ne sait pas les distinguer. Ceci est universel. Ce n’est pas dans les choses extraordinaires et bizarres que se trouve l’excellence de quelque genre que ce soit. On s’élève pour y arriver, et on s’en éloigne : il faut le plus souvent s’abaisser. Les meilleurs livres sont ceux que ceux qui les lisent croient qu’ils auraient pu faire. La nature, qui seule est bonne, est toute familière et commune[4].

Je ne fais donc pas de doute que ces règles, étant les véritables, ne doivent être simples, naïves, naturelles, comme elles le sont. Ce n’est pas Barbara et Baralipton qui forment le raisonnements[5]. II ne faut pas guinder l’esprit; les manières

  1. Ils n’auraient pas tout à fait tort.
  2. Ce langage est d’un ennemi de l’ancienne philosophie, mais non d’un vrai connaisseur des choses.
  3. Eh ! de grâce, quelle science est exempte de cette barbarie? Et qu’il serait à souhaiter que toutes eussent des formules aussi justes et aussi précises que la logique !
  4. Pas tant que le dit Pascal. Qu’on interroge là-dessus les vrais savants.
  5. Non sans doute, ces deux formules pour ainsi dire algébriques ne forment pas seules le raisonnement; mais elles contiennent une foule de choses nécessaires à le bien former. Pascal en eût grandement profité s’il eût pris soin d’y recourir.