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310 OPUSCULES.


sont reçues dans l’âme, qui sont ses deux principales puissances : l’entendement et la volonté. La plus naturelle est celle de l’entendement, car on ne devrait jamais consentir qu’aux vérités démontrées. Mais la plus ordinaire,quoique contre la nature, est celle de la volonté ; car tout ce qu’il y a d’hommes sont presque toujours emportés à croire non pas par la preuve, mais par l’agrément. Cette voie est basse, indigne, et étrangère : aussi tout le monde la désavoue. Chacun fait profession de ne croire et même de n’aimer que ce qu’il sait le mériter.

Je ne parle pas ici des vérités divines, que je n’aurais garde de faire tomber sous l’art de persuader, car elles sont infiniment au-dessus de la nature : Dieu seul peut les mettre dans l’âme, et par la manière qu’il lui plait. Je sais qu’il a voulu qu’elles entrent du cœur dans l’esprit, et non pas de l’esprit dans le cœur [1] , pour humilier cette superbe puissance du raisonnement qui prétend devoir être juge des choses que la volonté choisit ; et pour guérir cette volonté infirme, qui s’est toute corrompue par ses sales attachements. Et de là vient qu’au lieu qu’en parlant des choses humaines on dit qu’il faut les connaître avant que de les aimer, ce qui a passé en proverbe [2] , les saints au contraire disent, en parlant des choses divines, qu’il faut les aimer pour les connaître, et qu’on n’entre dans la vérité que par la charité, dont ils ont fait une de leurs plus utiles sentences [3].

En quoi il parait que Dieu a établi cet ordre surnaturel et tout contraire à l’ordre qui devait être naturel aux hommes dans les choses naturelles. Ils ont néanmoins corrompu cet ordre, en faisant des choses profanes ce qu’ils devaient faire des choses saintes, parce qu’en effet nous ne croyons presque que ce qui nous plait. Et de là vient l’éloignement où nous sommes de consentir aux vérités de la religion chrétienne tout opposée à nos plaisirs. « Dites-nous des choses agréables et nous vous écouterons, » disaient les juifs à Moïse [4] , comme si l’agrément devait régler la créance ! Et c’est pour punir ce désordre par un ordre qui lui est conforme, que Dieu ne verse ses lumières dans les esprits,qu’après avoir dompté la rébellion de la volonté par une douceur toute céleste qui la charme et qui l’entraîne [5].

Je ne parle donc que des vérités de notre portée ; et c’est

  1. Nous avons déjà dit, dans les notes au ch. I des Pensées, de quelle façon il faut entendre ceci, pour rester fidèle à l’Église et à la vérité.
  2. « Ignoti nulla cupido », disait Ovide : « On ne désire pas ce qu’on ignore. »
  3. Cependant la connaissance a toujours le premier pas.
  4. Pascal confond Moïse avec Isaïe (xxx, 10).
  5. Cette douceur elle-même ne vient qu’après quelque lumière.