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308 OPUSCULES.

D’où l’on voit combien il y a peu de raison de comparer le rapport qui est entre l’unité et les nombres à celui qui est entre les indivisibles et l’étendue.

Mais, si l’on veut prendre dans les nombres une comparaison qui représente avec justesse ce que nous considérons dans l’étendue, il faut que ce soit le rapport du zéro aux nombres ; car le zéro n’est pas du même genre que les nombres, parce qu’étant multiplié, il ne peut les surpasser : de sorte que c’est un véritable indivisible de nombre, comme l’indivisible est un véritable zéro d’étendue. Et on en trouvera un pareil entre le repos et le mouvement, et entre un instant et le temps ; car toutes ces choses sont hétérogènes à leurs grandeurs, parce qu’étant infiniment multipliées, elles ne peuvent jamais faire que des indivisibles, non plus que les indivisibles d’étendue, et par la même raison. Et alors on trouvera une correspondance parfaite entre ces choses ; car toutes ces grandeurs sont divisibles à l’infini, sans tomber dans leurs indivisibles, de sorte qu’elles tiennent toutes le milieu entre l’infini et le néant.

Voilà l’admirable rapport que la nature a mis entre ces choses, et les deux merveilleuses infinités qu’elle a proposées aux hommes, non pas à concevoir, mais à admirer ; et, pour en finir la considération par une dernière remarque, j’ajou- terai que ces deux infinis, quoique infiniment différents, sont néanmoins relatifs l’un à l’autre, de telle sorte que la connaissance de l’un mène nécessairement à la connaissance de l’autre.

Car dans les nombres, de ce qu’ils peuvent toujours être augmentés, il s’ensuit absolument qu’ils peuvent toujours être diminués, et cela clairement ; car, si l’on peut multiplier un nombre jusqu’à 100,000, par exemple, on peut aussi en prendre une 100,000e partie, en le divisant par le même nombre qu’on le multiplie ; et ainsi tout terme d’augmentation deviendra terme de division, en changeant l’entier en fraction. De sorte que l’augmentation infinie enferme nécessairement aussi la division infinie.

Et dans l’espace le même rapport se voit entre ces deux infinis contraires ; c’est-à-dire que, de ce qu’un espace peut être infiniment prolongé, il s’ensuit qu’il peut être infiniment diminué, comme il parait en cet exemple : Si on regarde au travers d’un verre un vaisseau qui s’éloigne toujours directement, il est clair que le lieu du diaphane où l’on remarque un point tel qu’on voudra du navire, haussera toujours par un flux continuel, à mesure que le vaisseau fuit. Donc, si la course du vaisseau est toujours allongée et jusqu’à l’infini, ce