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296 OPUSCULES.

Si l’on a besoin de distinguer dans les nombres ceux qui sont divisibles en deux également, d’avec ceux qui ne le sont pas, pour éviter de répéter souvent cette condition, on lui donne un nom en cette sorte: j’appelle tout nombre divisible en deux également, nombre pair.

Voilà une définition géométrique ; parce qu’après avoir clairement désigné une chose, savoir tout nombre divisible en deux également, on lui donne un nom que l’on destitue de tout autre sens, s’il en a, pour lui donner celui de la chose désignée.

D’où il paraît que les définitions sont très libres, et qu’elles ne sont jamais sujettes à être contredites ; car il n’y a rien de plus permis que de donner à une chose qu’on a clairement désignée un nom tel qu’on voudra [1] . Il faut seulement prendre garde qu’on n’abuse de la liberté qu’on a d’imposer des noms, en donnant le même à deux choses différentes.

Ce n’est pas que cela ne soit permis, pourvu qu’on n’en confonde pas les conséquences et qu’on ne les étende pas de l’une à l’autre.

Mais si l’on tombe dans ce vice, on peut lui opposer un remède très sûr et très infaillible : c’est de substituer mentalement la définition à la place du défini, et d’avoir toujours la définition si présente, que toutes les fois qu’on parle, par exemple, de nombre pair, on entende précisément que c’est celui qui est divisible en deux parties égales : et que ces deux choses soient tellement jointes et inséparables dans la pensée, qu’aussitôt que le discours en exprime l’une, l’esprit y attache immédiatement l’autre. Car les géomètres, et tous ceux qui agissent méthodiquement, n’imposent des noms aux choses que pour abréger le discours, et non pour diminuer ou changer l’idée des choses dont ils discourent. Et ils prétendent que l’esprit supplée toujours la définition entière aux termes courts, qu’ils n’emploient que pour éviter la confusion que la multitude des paroles apporte.

Rien n’éloigne plus promptement et plus puissamment les surprises captieuses des sophistes que cette méthode, qu’il faut avoir toujours présente et qui suffit seule pour bannir toutes sortes de difficultés et d’équivoques.

Ces choses étant bien entendues, je reviens à l’explication du véritable ordre qui consiste, comme je disais, à tout définir et à tout prouver.

  1. Cela n’est point sans de grands dangers et par conséquent n’est pas absolument permis. Que dirait-on d’un philosophe qui s’obstinerait à appeler le vice du nom de vertu et réciproquement, lors même qu’il aurait commencé par les définir clairement l’un et l’autre ?