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PHILOSOPHIE.     295 

SECTION PREMIÈRE.

De la méthode des démonstrations géométriques, c'est-à-dire méthodiques et parfaites.


Je ne puis faire mieux entendre la conduite qu’on doit garder pour rendre les démonstrations convaincantes, qu’en expliquant celle que la géométrie observe [1].

Mais il faut auparavant que je donne l’idée d’une méthode encore plus éminente et plus accomplie, mais où les hommes ne sauraient jamais arriver : car ce qui passe la géométrie nous surpasse [2] ; et néanmoins il est nécessaire d’en dire quelque chose, quoique il soit impossible de le pratiquer.

Cette véritable méthode, qui formerait les démonstrations dans la plus haute excellence [3] , s’il était possible d’y arriver, consisterait en deux choses principales : l’une de n’employer aucun terme dont on n’eût auparavant expliqué nettement le sens ; l’autre, de n’avancer jamais aucune proposition qu’on ne démontrât par des vérités déjà connues ; c’est-à-dire, en un mot, à définir tous les termes et à prouver toutes les propositions. Mais, pour suivre l’ordre même que j’explique, il faut que je déclare ce que j’entends par définition.

On ne reconnaît en géométrie que les seules définitions que les logiciens appellent définitions de nom, c’est-à-dire que les seules impositions de nom aux choses qu’on a clairement désignées en termes parfaitement connus ; et je ne parle que de celles-là seulement.

Leur utilité et leur usage est d’éclaircir et d’abréger le discours en exprimant par le seul nom qu’on impose ce qui ne pourrait se dire qu’en plusieurs termes; en sorte néanmoins que le nom imposé demeure dénué de tout autre sens,s’il en a,pour n’avoir plus que celui auquel on le destine uniquement. En voici un exemple.

  1. Au dos du papier sur lequel se trouvait cet alinéa, Pascal avait écrit ce qui suit et qui peut-être eût été intercalé ici : « [Mon objet] est bien plus de réussir à l’une qu’à l’autre, et je n’ai choisi cette science pour y arriver que parce qu’elle seule sait les véritables règles du raisonnement et, sans s’arrêter aux règles des syllogismes qui sont tellement naturelles qu’on ne peut les ignorer, s’arrête et se fonde sur la véritable méthode de conduire le raisonnement en toutes choses, que presque tout le monde ignore et qu’il est si avantageux de savoir, que nous voyons par expérience qu’entre esprits égaux et toutes choses pareilles, celui qui a de la géométrie l’emporte et acquiert une vigueur toute nouvelle. « Je veux donc faire entendre ce que c’est que démonstration, par l’exemple de celles de géométrie qui est presque la seule des sciences humaines qui en produise d’infaillibles, parce qu’elle seule observe la véritable méthode, au lieu que toutes les autres sont par une nécessité naturelle dans quelque sorte de confusion que les seuls géomètres savent extrêmement connaître. »
  2. La métaphysique, dans l’ordre seulement naturel dont il est ici question, surpasse encore la géométrie, et de beaucoup.
  3. Point du tout, et Pascal en conviendra lui-même plus loin (p. 296). La démonstration par excellence ne peut être celle qui n’aurait jamais de point de départ et de point d’appui, mais qui les reculerait toujours à l’infini.