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OPUSCULES.

II. — DE L’ESPRIT GEOMETRIQUE[1]

PREMIER FRAGMENT.


On peut avoir trois principaux objets dans l’étude de la vérité : l’un, de la découvrir quand on la cherche ; l’autre, de la démontrer quand on la possède ; le dernier, de la discerner d’avec le faux quand on l’examine.

Je ne parle point du premier ; je traite particulièrement du second, et il enferme le troisième. Car, si l’on sait la méthode de prouver la vérité, on aura en même temps celle de la discerner, puisqu’en examinant si la preuve qu’on en donne est conforme aux règles qu’on connaît, on saura si elle est exactement démontrée.

La géométrie, qui excelle en ces trois genres, a expliqué l’art de découvrir les vérités inconnues[2] ; et c’est ce qu’elle appelle analyse, et dont il serait inutile de discourir après tant d’excellents ouvrages qui ont été faits.

Celui de démontrer les vérités déjà trouvées et de les éclaircir de telle sorte que la preuve en soit invincible, est le seul que je veux donner ; et je n’ai pour cela qu’à expliquer la méthode que la géométrie y observe ; car elle l’enseigne parfaitement par ses exemples, quoique elle n’en produise aucun discours. Et parce que cet art consiste en deux choses principales, l’une de prouver chaque proposition en particulier, l’autre de disposer toutes les propositions dans le meilleur ordre, j’en ferai deux sections, dont l’une contiendra les règles de la conduite des démonstrations géométriques, c’est-à-dire méthodiques et parfaites ; et la seconde comprendra celles de l’ordre géométrique, c’est-à-dire méthodique et accompli : de sorte que les deux ensemble enfermeront tout ce qui sera nécessaire pour la conduite du raisonnement à prouver et discerner les vérités, lesquelles[3] j’ai dessein de donner entières.



  1. Titre assez trompeur. Il s’agit moins de géométrie que de logique dans ces deux fragments d’ouvrage, Pascal y expose en effet la théorie de la démonstration et de la persuasion, non pour servir d’introduction à ses oeuvres géométriques, mais plutôt pour servir de préliminaires à son ouvrage d’apologie. On sait que, dans un tout autre but, l’athée Spinoza prétendit aussi démontrer géométriquement sa morale. On verra plus loin dans quel sens large Pascal emploie ici le nom de géométrie. (Voir p. 301.) La Logique de Port-Royal s’est servie de ces fragments.
  2. Non, elle n’a pas « expliqué » mais seulement « appliqué » cet art.
  3. Les deux « sections » dont il vient d’être parlé. En réalité, nous n’avons que la première, et Pascal n’a peut-être jamais fait la seconde.