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pensées de blaise pascal.

que cet effet vient de cette coutume, croit qu’il vient d’une force naturelle ; et de là viennent ces mots : Le caractère de la Divinité est empreint sur son visage, etc.

La puissance des rois est fondée sur la raison et sur la folie du peuple, et bien plus sur la folie. La plus grande et importante chose du monde a pour fondement la faiblesse : et ce fondement-là est admirablement sûr : car il n’y a rien de plus sûr que cela, que le peuple sera faible. Ce qui est fondé sur la saine raison est bien mal fondé, comme l’estime de la sagesse[1].

IV. — Raison des effets. — Gradation[2]. Le peuple honore les personnes de grande naissance. Les demi-habiles les méprisent, disant que la naissance n’est pas un avantage de la personne, mais du hasard. Les habiles les honorent, non par la pensée du peuple, mais par la pensée de derrière[3]. Les dévots qui ont plus de zèle que de science les méprisent, malgré cette considération qui les fait honorer par les habiles, parce qu’ils en jugent par une nouvelle lumière que la piété leur donne. Mais les chrétiens parfaits les honorent par une autre lumière supérieure. Ainsi se vont les opinions succédant du pour au contre, selon qu’on a de lumière.

V. — Raison des effets. — Il est donc vrai de dire que tout le monde est dans l’illusion : car, encore que les opinions du peuple soient saines, elles ne le sont pas dans sa tête, car il pense que la vérité est où elle n’est pas. La vérité est bien dans leurs opinions, mais non pas au point où ils se figurent. Par exemple, il est vrai qu’il faut honorer les gentilshommes, mais non pas parce que la naissance est un avantage effectif, etc.[4].

VI. — Pourquoi me tuez-vous ? — Eh quoi ! ne demeurez-vous pas de l’autre côté de l’eau ? Mon ami, si vous demeuriez de ce côté, je serais un assassin, cela serait injuste de vous tuer de la sorte ; mais puisque vous demeurez de l’autre côté, je suis un brave, et cela est juste.

VII. — Ferox gens nullam esse vitam sine armis rati[5]. Ils aiment mieux la mort que la paix ; les autres aiment mieux la mort que la guerre. Toute opinion peut être préférable à la vie, dont l’amour paraît si fort et si naturel.

VIII. — Non seulement nous regardons les choses par

  1. Est-ce bien Pascal, n’est-ce pas Rousseau qui a écrit ceci ?
  2. Celle qui suit.
  3. Cette pensée de derrière, n’est pas seulement une pensée plus profonde que celle du peuple ; c’est une pensée opposée à la sienne qu’on lui laisse d’ailleurs par mépris et politique. Sans cela serait-on « habile » ?
  4. Et pourquoi donc n’en serait-elle pas un ?
  5. « Race féroce, au jugement de laquelle ce n’est pas vivre que de ne pas guerroyer. » (Tit. Liv., l. XXXIV, 17.)