ou de courir témérairement après les nouvelles. Qui tient le juste milieu ? Qu’il paraisse, et qu’il le prouve. Il n’y a principe, quelque naturel qu’il puisse être, même depuis l’enfance, qu’on ne fasse passer pour une fausse impression, soit de l’instruction, soit des sens. Parce, dit-on, que vous avez cru dès l’enfance qu’un coffre était vide lorsque vous n’y voyiez rien, vous avez cru le vide possible ; c’est une illusion de vos sens, fortifiée par la coutume, qu’il faut que la science corrige. Et les autres disent : Parce qu’on vous a dit dans l’école qu’il n’y a point de vide, on a corrompu votre sens commun, qui le comprenait si nettement avant cette mauvaise impression, qu’il faut corriger en recourant à votre première nature. Qui a donc trompé ? les sens ou l’instruction ?
Nous avons un autre principe d’erreur, les maladies. Elles nous gâtent le jugement et le sens. Et si les grandes l’altèrent sensiblement, je ne doute point que les petites n’y fassent impression à leur proportion.
Notre propre intérêt est encore un merveilleux instrument pour nous crever les yeux agréablement. Il n’est pas permis au plus équitable homme du monde d’être juge en sa cause : j’en sais qui, pour ne pas tomber dans cet amour-propre, ont été les plus injustes du monde à contre-biais[1]. Le moyen sûr de perdre une affaire toute juste, était de la leur faire recommander par leurs proches parents. La justice et la vérité sont deux pointes si subtiles, que nos instruments sont trop émoussés pour y toucher exactement. S’ils y arrivent, ils en écachent la pointe, et appuient tout autour, plus sur le faux que sur le vrai.
II. — L’imagination grossit les petits objets jusqu’à en remplir notre âme, par une estimation fantastique ; et, par une insolence téméraire, elle amoindrit les grands jusqu’à sa mesure, comme en parlant de Dieu[2].
III. — Les choses qui nous tiennent le plus[3], comme de cacher son peu de bien[4], ce n’est souvent presque rien. C’est un néant que notre imagination grossit en montagne. Un autre tour d’imagination nous le fait découvrir sans peine[5].
IV.— Notre imagination nous grossit si fort le temps présent, à force d’y faire des réflexions continuelles, et amoindrit tellement l’éternité, manque d’y faire réflexion, que nous faisons de l’éternité un néant, et du néant une éternité ; et tout cela a ses