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pensées de blaise pascal.

de prétendre connaître toutes choses. Je vais parler de tout, disait Démocrite[1].

Mais l’infinité on petitesse est bien moins visible. Les philosophes ont bien plus tôt prétendu d’y arriver ; et c’est là où tous ont achoppé. C’est ce qui a donné lieu à ces titres si ordinaires, « Des principes des choses », « Des principes de la philosophie, » et aux semblables, aussi fastueux en effet, quoique non en apparence, que cet autre qui crève les yeux, De omni scibili[2].

On se croit naturellement bien plus capable d’arriver au centre des choses que d’embrasser leur circonférence. L’étendue visible du monde nous surpasse visiblement ; mais comme c’est nous qui surpassons les petites choses, nous nous croyons plus capables de les posséder ; et cependant il ne faut pas moins de capacité pour aller jusqu’au néant que jusqu’au tout. Il la faut infinie pour l’un et l’autre ; et il me semble que qui aurait compris les derniers principes des choses[3] pourrait aussi arriver jusqu’à connaître l’infini. L’un dépend de l’autre, et l’un conduit à l’autre. Ces extrémités se touchent et se réunissent à force de s’être éloignées, et se retrouvent en Dieu, et en Dieu seulement.

Connaissons donc notre portée ; nous sommes quelque chose et ne sommes pas tout. Ce que nous avons d’être nous dérobe la connaissance des premiers principes, qui naissent du néant[4], et le peu que nous avons d’être nous cache la vue de l’infini.

Notre intelligence tient dans l’ordre des choses intelligibles le même rang que notre corps dans l’étendue de la nature.

Bornés en tout genre, cet état qui tient le milieu entre deux extrêmes se trouve en toutes nos puissances.

Nos sens n’aperçoivent rien d’extrême. Trop de bruit nous assourdit ; trop de lumière éblouit ; trop de distance et trop de proximité empêche la vue ; trop de longueur et trop de brièveté du discours l’obscurcit ; trop de vérité nous étonne : j’en sais qui ne peuvent comprendre que qui de zéro ôte quatre

  1. Pascal avait d’abord ajouté, et il a ensuite barré ce qui suit : « Mais outre que c’est peu d’en parler simplement, sans prouver et connaître, il est néanmoins impossible de le faire, la multitude infinie des choses nous étant si cachée que tout ce que nous pouvons exprimer par paroles ou par pensées n’en est qu’un trait invisible. D’où il parait combien est sot, vain et ignorant, ce titre de quelques livres : De omni scibili. — On voit d’une première vue que l’arithmétique seule fournit des propriétés sans nombre et chaque science de même. »
  2. « De tout ce qu’on peut savoir. »
  3. Les premiers éléments constitutifs des choses.
  4. C’est-à-dire, au delà desquels il n’y a plus rien, rien que le néant. Pascal est ici plus ingénieux que vrai : ce n’est pas notre être qui nous dérobe ou le néant ou l’infini ; au contraire, c’est par lui que nous savons le peu que nous en savons. Si nous n’en savons pas davantage, c’est que notre être est borné.