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LETTRE

réduisant en acte, et qu’ainsi il ne soit pas vrai d’eux que la seule grâce l’ait donné ? Mais pour montrer par des passages exprès que le pouvoir prochain de prier n’est point dans ceux qui n’ont pas la grâce, écoutons saint Fulgence : « On ne peut pas même avoir le désir de la prière, si ce désir n’est donné de Dieu. » (Fulg., 278.) Donc ceux qui n’ont pas ce désir n’ont pas le pouvoir prochain de l’avoir. « Donc quand il nous est commandé de vouloir, notre devoir nous est marqué ; mais parce que nous ne pouvons pas l’avoir de nous-mêmes, nous sommes avertis d’en demander le pouvoir à celui qui nous en donne le commandement ; ce que toutefois nous ne pouvons demander, si Dieu n’en opère en nous la volonté même. » (Fulg., 178.) Donc ceux qui n’ont pas la volonté même, n’ont pas ce pouvoir.

Ce n’est pas qu’ils n’aient un pouvoir éloigné, tel qu’est la possibilité, par exemple qu’ont tous les hommes d’être sauvés. Car toutes les fois qu’on dit qu’on n’a pas le pouvoir de faire une chose, on n’exclut pas toujours ces pouvoirs éloignés : mais il est indubitable qu’on exclut toujours le pouvoir prochainement suffisant ; donc, quand il est dit qu’on ne peut avoir la volonté de prier, si elle n’est donnée de Dieu, il est certain que cette impuissance est pour le moins à l’égard du pouvoir prochainement suffisant.

Ces passages, qui excluent formellement le pouvoir prochain de ceux qui n’ont pas l’acte, sont aussi forts qu’on peut souhaiter. Mais cela n’empêche pas que ceux qui n’excluent pas formellement le pouvoir, et qui ne font qu’attribuer toujours l’acte à l’efficacité de la grâce, ont infailliblement la même force pour exclure ce pouvoir prochainement suffisant ; puisqu’il n’est pas possible, comme nous l’avons tant dit, d’assigner pour unique cause de la foi et de la prière l’efficacité de la grâce, s’il y a dans tous les justes un pouvoir prochainement suffisant qui puisse en être la cause.

Concluons donc que tous ceux qui ont la foi et la prière, l’ont par une grâce efficace ; et que tous ceux qui ne l’ont pas, n’ont pas le pouvoir prochain de l’avoir. Il s’ensuit que tous ceux qui persévèrent à prier, ont une grâce efficace qui les fait prier et les fait persévérer à prier ; et que tous ceux qui ont cette grâce, prient ; et que ceux qui ne persévérent pas à prier, sont destitués de cette grâce efficace et d’une grâce prochainement suffisante ; et que ceux qui sont destitués de cette grâce suffisante, ne prient pas ; et qu’ainsi un juste ne cesse point de prier, qu’après que Dieu l’a destitué de la grâce efficace et prochainement suffisante pour la prière.

Ce chef capital de la doctrine de saint Augustin se prouve invinciblement, et par le principe qui vient de l’éclaircir, et par tous les autres. Donnons un nouveau jour à cette démonstration.

S’il est incontestablement vrai que les élus persévèrent jusqu’à la fin par des voies très-efficaces, c’est-à-dire que les seuls qui persévèrent jusqu’à la fin, persévèrent par des moyens très-efficaces, ne s’ensuivra-t-il pas qu’aucun de tous ceux qui ne persévèrent pas n’a le pouvoir prochain de persévérer, par le même raisonnement que nous venons de faire ? Car, si les réprouvés qui sont dans la justice ont le pouvoir pro-