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LETTRE

Je prétends donc vous faire voir par saint Augustin que le juste ne quitteroit jamais Dieu, si Dieu ne le quittoit en ne lui donnant pas toute la grâce nécessaire pour persévérer à prier ; et que non-seulement c'est un point de la théologie de ce Père, mais que l’on ne peut le nier sans détruire tous les principes et tous les fondemens de sa doctrine, et sans tomber dans les égaremens de ses adversaires et des ennemis de la grâce, qu’il a combattus et vaincus durant sa vie par ces mêmes écrits par lesquels l’Église les combattra et les vaincra toujours.

Examinons donc, s’il vous plaît, cette question à fond, car je sais que c’est le point qui vous touche le plus ; et voyons dans la doctrine de saint Augustin et de saint Prosper, s’il est possible que les justes quittent Dieu avant que Dieu les ait en un sens laissés à eux-mêmes.

Pour cela, il faut prendre pour fondement et pour avoué que Dieu ne laisse jamais ceux qui le prient ; et qu’au contraire il leur accorde toujours les moyens nécessaires à leur salut, s’ils le lui demandent sincèrement.

Il n'est donc pas question de savoir si Dieu cesse de donner ses secours à ceux qui persévèrent à les demander, car cela n’a jamais été pensé ; mais de savoir si Dieu ne cesse jamais de donner aux justes tous les secours nécessaires pour prier : voilà l’état de la question.

Si nous trouvons que ce soit un principe ferme dans saint Augustin, que tous ceux qui ont la prière actuelle, l’ont par une grâce efficace ; et qu’aucun de ceux qui n’ont pas la prière actuelle n’a le pouvoir prochain de prier, la question ne sera-t-elle pas résolue ? et ne s’ensuivra-t-il pas nécessairement que, tandis que les justes prient, ils sont secourus efficacement ; et qu’ils ne cessent point de prier tant que ce secours efficace leur est présent, et que, quand ils cessent, ils n’ont pas le pouvoir prochain de prier ; et partant, que Dieu les a laissés le premier, je ne dis pas sans aucun secours, mais sans le secours prochain ? certainement cela s’ensuit. Voyons donc si je prouverai ces principes.

Si nous trouvons que c’est un principe ferme dans saint Augustin, que non-seulement les grandes actions sont des dons de Dieu (dont personne aujourd’hui ne doute plus), mais que la prière même et la foi, qui sont les moindres choses par lesquelles on adhère à Dieu, et sans lesquelles il est sûr qu'on le quitte, sont aussi des dons de la grâce, des effets de l’ouvrage de la grâce, et qu’elles ne se trouvent en personne que par l’opération expresse de la grâce : cela ne suffira-t-il pas pour montrer qu’on n’a jamais la prière que par une grâce qui fasse prier ? Peut-être direz-vous que non ; et qu’encore que tous les justes aient la grâce suffisante pour prier, il arrive néanmoins que pas un ne prie que par une grâce efficace ; et qu’ainsi, encore que la prière ne se trouve en personne, si elle n’est produite par la grâce efficace, le pouvoir néanmoins pour prier se trouve en tous les justes.

Mais cela n’est pas soutenable ; car c’est une question de fait, de savoir si aucun juste ne réduit en acte le pouvoir prochain qu’il a de prier, sur laquelle on ne sauroit répondre qu’en s’informant de tous les justes en particulier de quelle sorte la prière se forme en eux ; de sorte que ce seroit une témérité impertinente, d'assurer de tous les justes