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SUR LES COMMANDEMENS DE DIEU.

l’autre dans tous ses effets en commun, on peut aussi en parler de deux manières différentes. Qui doute qu’on ne puisse considérer la première lumière de la foi séparément, et les actions qui en naissent séparément, et qu’on ne puisse considérer et la foi et les œuvres en commun et comme en un corps, et ainsi en parler diversement ? C’est ainsi que fait saint Augustin, lorsque pour s’accommoder à ceux à qui il parle, il dit : « On peut distinguer la foi d’avec les œuvres, comme on distingue le royaume de Juda d’avec celui d’Israël. » N’est-ce pas ainsi que saint Thomas, parlant de la prédestination gratuite, sur laquelle vous n’avez point de difficulté, dit qu’on peut la considérer, ou en commun, ou dans ses effets particuliers, et en parler ainsi en deux manières contraires ? En la considérant dans ses effets, on peut leur alléguer des causes, les premiers étant les causes méritoires des seconds, et les seconds la cause finale des premiers ; mais en les considérant tous en commun, ils n’ont aucune cause que la volonté divine ; c’est-à-dire, comme il l’explique, que la grâce est donnée pour mériter la gloire, et que la gloire est donnée parce qu’on l’a méritée par la grâce ; mais le don de la gloire et de la grâce ensemble et en commun n’a aucune cause que la volonté divine.

Ainsi, si nous considérons la vie chrétienne, qui n’est autre chose qu’un saint désir, selon saint Augustin, nous trouverons, et que Dieu prévient l’homme, et que l’homme prévient Dieu ; que Dieu donne sans qu’on demande, et que Dieu donne ce qu’on demande, que Dieu opère sans que l’homme coopère, et que l’homme coopère avec Dieu ; que la gloire est une grâce et une récompense ; que Dieu quitte le premier, et que l’homme quitte le premier ; que Dieu ne peut sauver l’homme sans l’homme, et que cela ne dépend nullement de l’homme qui veut et qui court mais seulement de Dieu qui fait miséricorde.

Par où vous voyez que presque tout ce que les semi-pélagiens ont dit de la justification en commun, est véritable de ses effets particuliers, qu’ainsi on peut dire les mêmes choses qu’eux sans être de leur sentiment, à cause des différens objets des mêmes propositions ; et que toutes les expressions suivantes sont communes à saint Augustin et à ses adversaires. « Les commandemens sont toujours possibles aux justes ; Dieu ne nous sauve point sans notre coopération : nous garderons les commandemens ; si nous voulons ; il est en notre pouvoir de garder les commandemens, il est en notre pouvoir de changer notre volonté en mieux ; la gloire est donnée aux mérites ; demandez, et vous recevrez ; j’ai attendu le Seigneur, j’ai prévenu le Seigneur ; tous les hommes ne sont pas sauvés, parce qu’ils ne le veulent pas ; Dieu ne quitte point, s’il n’est quitté ; Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, » etc.

Tous les discours de cette sorte sont communs aux deux partis. Saint Augustin eût ainsi parlé aussi bien que ses ennemis. Et comment ne le feroit-il pas, vu que la plupart de ces phrases sont de l’Écriture sainte ? Mais les expressions contraires sont particulières à saint Augustin et à ses disciples, comme : « Le salut ne dépend que de Dieu ; la gloire est gratuite ; elle n’appartient, ni à celui qui veut, ni à celui qui court, mais elle vient de Dieu, qui fait miséricorde ; ce n’est point par