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SUR LES COMMANDEMENS DE DIEU.

Pour prouver ce que je dis, il ne faudroit que traduire tout ce chapitre XI ; et si vous le faites faire, vous verrez le sens du concile à découvert. Il déclare d’abord sa proposition, que « les commandemens ne sont pas impossibles aux justes, » qui sont les paroles de saint Augustin. Et pour examiner en quel sens il l’entend, je vous prie seulement de voir la preuve qu’il en donne, la conclusion qu’il tire de sa preuve, et les canons qu’il en forme. Que si la preuve qu’il en donne n’a de force que pour le premier sens : si la conclusion qu’il en tire est en termes univoques dans ce même premier sens, et les canons de même dans ce premier sens, qui pourroit douter de celui de la proposition ?

Voici sa preuve : « Les commandemens ne sont pas impossibles aux justes ; car ceux qui sont enfans de Dieu, c’est-à-dire les justes, aiment Jésus-Christ, » et il a dit que « ceux qui l’aiment, gardent sa parole, » c’est-à-dire ses préceptes. Cette preuve est excellente pour montrer la possibilité au premier sens : c’est-à-dire que les commandemens sont possibles à la charité ; car Jésus-Christ a dit que « ceux qui l’aiment observent ses commandemens ; » mais elle ne peut pas valoir pour montrer la possibilité en l’autre sens, c’est-à-dire pour l’avenir ; car il est bien dit que ceux qui aiment Jésus-Christ au temps présent, observent ses commandemens dans le même temps présent où ils l’aiment, mais non pas qu’ils auront le pouvoir de les garder à l’avenir : aussi le concile avertit, au même endroit, qu’ils peuvent garder les commandemens par le secours de Dieu.

Ensuite de quoi ayant cité beaucoup de passages de l’Écriture qui commandent la justice et l’observation des préceptes, ce qui seroit ridicule, si la nature humaine, même aidée de la grâce, en étoit absolument incapable, il conclut de cette sorte : « d’où il est constant que ceux-là répugnent à la vraie foi, qui disent que le juste pèche en toutes ses bonnes actions. » Et partant, le concile prétendant avoir prouvé ce qu’il avoit proposé, que les commandemens ne sont pas impossibles aux justes, lorsque, par le moyen de cette preuve, « car ceux qui aiment Jésus-Christ gardent sa parole, » il tire cette conclusion : « donc le juste ne pèche pas dans toutes ses bonnes actions : » peut-on nier qu’il n’a prétendu dire autre chose dans sa proposition (qu’on rend équivoque), que ce qu’il dit dans sa conclusion (qu’on ne peut tirer en divers sens), savoir, que « le juste ne pèche pas quand il fait de bonnes actions et par le mouvement de la grâce. » Et cela est parfaitement éclairci par les canons qu’il en forme, qui sont toujours la substance et comme l’âme des chapitres. Voici tous ceux qu’il en tire touchant cette possibilité.

Canon 25. « Si quelqu’un dit que le juste pèche en toute bonne œuvre véniellement, ou, ce qui est plus insupportable, mortellement, et qu’il en mérite la peine éternelle, et qu’il n’est pas damné par cette seule raison, que Dieu ne lui impute pas ses œuvres à damnation : qu’il soit anathème. » Le sens du concile n’est-il pas clair ?

Canon 18. « Si quelqu’un dit que l’observation des commandemens est impossible à l’homme même justifié et constitué sous la grâce : qu’il soit anathème. » Y a-t-il rien de plus clair ?

Il semble que le concile ait craint qu’on n’abusât de son expression,