Page:Pascal - Oeuvres complètes, II.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
46
EXTRAITS DES LETTRES

des pénitens du diable, selon la parole de Tertullien[1] : de même on ne quitteroit jamais les plaisirs du monde pour embrasser la croix de Jésus-Christ, si on ne trouvoit plus de douceur dans le mépris, dans la pauvreté, dans le dénûment et dans le rebut des hommes, que dans les délices du péché. Et ainsi, comme dit Tertullien[2], il ne faut pas croire que la vie des chrétiens soit une vie de tristesse. On ne quitte les plaisirs que pour d’autres plus grands. « Priez toujours, dit saint Paul, rendez grâces toujours, réjouissez-vous toujours[3]. » C’est la joie d’avoir trouvé Dieu qui est le principe de la tristesse de l’avoir offensé et de tout le changement de vie. Celui qui a trouvé le trésor dans un champ en a une telle joie, que cette joie, selon Jésus-Christ, lui fait vendre tout ce qu’il a pour l’acheter[4]. Les gens du monde n’ont point cette joie « que le monde ne peut ni donner ni ôter, » dit Jésus-Christ même[5]. Les bienheureux ont cette joie sans aucune tristesse ; les gens du monde ont leur tristesse sans cette joie, et les chrétiens ont cette joie mêlée de la tristesse d’avoir suivi d’autres plaisirs, et de la crainte de la perdre par l’attrait de ces autres plaisirs qui nous tentent sans relâche. Et ainsi nous devons travailler sans cesse à nous conserver cette joie qui modère notre crainte, et à conserver cette crainte qui conserve notre joie, et selon qu’on se sent trop emporter vers l’une, se pencher vers l’autre pour demeurer debout. « Souvenez-vous des biens dans les jours d’affliction, et souvenez-vous de l’affliction dans les jours de réjouissance, » dit l’Écriture[6], jusqu’à ce que la promesse que Jésus-Christ nous a faite[7] de rendre sa joie pleine en nous soit accomplie. Ne nous laissons donc pas abattre par la tristesse, et ne croyons pas que la piété ne consiste qu’en une amertume sans consolation. La véritable piété, qui ne se trouve parfaite que dans le ciel, est si pleine de satisfactions, qu’elle en remplit et l’entrée et le progrès et le couronnement. C’est une lumière si éclatante, qu’elle rejaillit sur tout ce qui lui appartient ; et s’il y a quelque tristesse mêlée, et surtout à l’entrée, c’est de nous qu’elle vient, et non pas de la vertu ; car ce n’est pas l’effet de la piété qui commence d’être en nous, mais de l’impiété qui y est encore. Ôtons l’impiété, et la joie sera sans mélange. Ne nous en prenons donc pas à la dévotion, mais à nous-mêmes, et n’y cherchons du soulagement que par notre correction.


7.

Je suis bien aise de l’espérance que vous me donnez du bon succes de l’affaire dont vous craignez de la vanité. Il y a à craindre partout, car si elle ne réussissoit pas, j’en craindrois cette mauvaise tristesse dont saint Paul dit qu’elle donne la mort, au lieu qu’il y en a une autre qui donne la vie[8]. Il est certain que cette affaire-là étoit épineuse, et que si la personne en sort, il y a sujet d’en prendre quelque vanité ; si ce n’est à cause qu’on a prié Dieu pour cela, et qu’ainsi il doit croire que le bien qui en viendra sera son ouvrage. Mais si elle réussissoit mal, il ne devroit pas en tomber dans l’abattement, par cette même raison qu’on a prié

  1. De pœnitentia, V.
  2. De spectaculis, XXVIII.
  3. Thess., v, 46-18.
  4. Matth., XIII, 44.
  5. Jean, XIV, 27.
  6. Eccles., XX, 27.
  7. Jean, XVI, 24.
  8. II Cor., VII, 10.