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EXTRAITS DES LETTRES

lorsqu’il dit en esprit de prophétie : « Véritablement tu es un Dieu caché[1]. » C’est là le dernier secret ou il peut être. Le voile de la nature qui couvre Dieu a été pénétré par plusieurs infidèles, qui, comme dit saint Paul[2], ont reconnu un Dieu invisible par la nature visible. Les chrétiens hérétiques l’ont connu à travers son humanité, et adorent Jésus-Christ Dieu et homme. Mais de le reconnoître sous des espèces de pain, c’est le propre des seuls catholiques : il n’y a que nous que Dieu éclaire jusque-là. On peut ajouter à ces considérations le secret de l’esprit de Dieu caché encore dans l’Ecriture. Car il y a deux sens parfaits, le littéral et le mystique ; et les juifs s’arrêtant à l’un ne pensent pas seulement qu’il y en ait un autre, et ne songent pas à le chercher ; de même que les impies, voyant les effets naturels, les attribuent à la nature, sans penser qu’il y en ait un autre auteur ; et comme les juifs, voyant un homme parfait en Jésus-Christ, n’ont pas pensé à y chercher une autre nature : « Nous n’avons pas pensé que ce fût lui, » dit encore Isaïe[3] ; et de même enfin que les hérétiques, voyant les apparences parfaites du pain dans l’eucharistie, ne pensent pas à y chercher une autre substance. Toutes choses couvrent quelque mystère ; toutes choses sont des voiles qui couvrent Dieu. Les chrétiens doivent le reconnoitre en tout. Les afflictions temporelles couvrent les biens éternels où elles conduisent. Les joies temporelles couvrent les maux éternels qu’elles causent. Prions Dieu de nous le faire reconnoître et servir en tout ; et rendons-lui des grâces infinies de ce que s’étant caché en toutes choses pour les autres, il s’est découvert en toutes choses et en tant de manières pour nous.


3.

Je ne sais comment vous aurez reçu la perte de vos lettres. Je voudrois bien que vous l’eussiez prise comme il faut. Il est temps de commencer à juger de ce qui est bon ou mauvais par la volonté de Dieu, qui ne peut être ni injuste ni aveugle, et non pas par la nôtre propre, qui est toujours pleine de malice et d’erreur. Si vous avez eu ces sentimens, j’en serai bien content, afin que vous vous en soyez consolée sur une raison plus solide que celle que j’ai à vous dire, qui est que j’espère qu’elles se retrouveront. On m’a déjà apporté celle du 5 ; et quoique ce ne soit pas la plus importante, car celle de M. du Gas l’est davantage, néanmoins cela me fait espérer de ravoir l’autre.

Je ne sais pourquoi vous vous plaignez de ce que je n’avois rien écrit pour vous ; je ne vous sépare point vous deux, et je songe sans cesse à l’un et à l’autre. Vous voyez bien que mes autres lettres, et encore celle-ci, vous regardent assez. En vérité, je ne puis m’empêcher de vous dire que je voudrois être infaillible dans mes jugements ; vous ne seriez pas mal si cela étoit, car je suis bien content de vous, mais mon jugement n’est rien. Je dis cela sur la manière dont je vois que vous parlez de ce bon cordelier persécuté, et de ce que fait le… Je ne suis pas surpris de voir M. N… s’y intéresser, je suis accoutumé à son zèle, mais le vôtre m’est tout à fait nouveau ; c’est ce langage nouveau que

  1. XLV, 45.
  2. Rom., I, 20.
  3. LIII, 3.