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PRIÈRE POUR LA MALADIE.

vers les créatures ou vers moi-même, ne peuvent que vous irriter. Je vous rends donc grâce, mon Dieu, des bons mouvemens que vous me donnez, et de celui même que vous me donnez de vous en rendre grâces.

VII. Touchez mon cœur du repentir de mes fautes, puisque, sans cette douleur intérieure, les maux extérieurs dont vous touchez mon corps me seroient une nouvelle occasion de péché. Faites-moi bien connoître que les maux du corps ne sont autre chose que la punition et la figure tout ensemble des maux de l’âme. Mais, Seigneur, faites aussi qu’ils en soient le remède, en me faisant considérer, dans les douleurs que je sens, celle que je ne sentois pas dans mon âme, quoique toute malade et couverte d’ulcères. Car, Seigneur, la plus grande de ses maladies est cette insensibilité et cette extrême foiblesse, qui lui avoit ôté tout sentiment de ses propres misères. Faites-les-moi sentir vivement, et que ce qui me reste de vie soit une pénitence continuelle pour laver les offenses que j’ai commises.

VIII. Seigneur, bien que ma vie passée ait été exempte de grands crimes, dont vous avez éloigné de moi les occasions, elle vous a été néanmoins très-odieuse par sa négligence continuelle, par le mauvais usage de vos plus augustes sacremens, par le mépris de votre parole et de vos inspirations, par l’oisiveté et l’inutilité totale de mes actions et de mes pensées, par la perte entière du temps que vous ne m’aviez donné que pour vous adorer, pour rechercher en toutes mes occupations les moyens de vous plaire, et pour faire pénitence des fautes qui se commettent tous les jours, et qui même sont ordinaires aux plus justes ; de sorte que leur vie doit être une pénitence continuelle sans laquelle ils sont en danger de déchoir de leur justice. Ainsi, mon Dieu, je vous ai toujours été contraire.

IX. Oui. Seigneur, jusqu’ici j’ai toujours été sourd à vos inspirations, j’ai méprisé vos oracles ; j’ai jugé au contraire de ce que vous jugez ; j’ai contredit aux saintes maximes que vous avez apportées au monde du sein de votre père éternel, et suivant lesquelles vous jugerez le monde. Vous dites : « Bienheureux sont ceux qui pleurent, et malheur à ceux qui sont consolés[1] ! » Et moi j’ai dit : « Malheureux ceux qui gémissent, et très·heureux ceux qui sont consolés ! » J’ai dit : « Heureux ceux qui jouissent d’une fortune avantageuse, d’une réputation glorieuse et d’une santé robuste ! » Et pourquoi les ai-je réputés heureux, sinon parce que tous ces avantages leur fournissoient une facilité très-ample de jouir ces créatures, c’est-à-dire de vous offenser ? Oui, Seigneur, je confesse que j’ai estimé la santé un bien, non pas parce qu’elle est un moyen facile pour vous servir avec utilité, pour consommer plus de soins et de veilles à votre service, et pour l’assistance du prochain ; mais parce qu’a sa faveur je pouvois m’abandonner avec moins de retenue dans l’abondance des délices de la vie, et en mieux goûter les funestes plaisirs. Faites-moi la grâce, Seigneur, de réformer ma raison corrompue, et de conformer mes sentimens aux vôtres. Que je m’estime heureux dans l’afflic-

  1. Luc, VI, 21, 24.