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cité pour jamais dans le baptême, on ne fût entré dans l’obéissance de l’Évangile que par l’amour de la vie ; au lieu que la grandeur de la foi éclate bien davantage lorsque l’on tend à l’immortalité par les ombres de la mort.

Voilà certainement quelle est notre créance, et la foi que nous professons ; et je crois qu’en voilà plus qu’il n’en faut pour aider vos consolations par mes petits efforts. Je n’entreprendrois pas de vous porter ce secours de mon propre, mais comme ce ne sont que des répétitions de ce que j’ai appris, je le fais avec assurance en priant Dieu de bénir ces semences, et de leur donner de l’accroissement, car sans lui nous ne pouvons rien faire, et ses plus saintes paroles ne prennent point en nous, comme il l’a dit lui-même. ·

Ce n’est pas que je souhaite que vous soyez sans ressentiment : le coup est trop sensible ; il seroit même insupportable sans un secours surnaturel. Il n’est donc pas juste que nous soyons sans douleur comme des anges qui n’ont aucun sentiment de la nature ; mais il n’est pas juste aussi que nous soyons sans consolation comme des païens qui n’ont aucun sentiment de la grâce : mais il est juste que nous soyons affligés et consolés comme chrétiens, et que la consolation de la grâce l’emporte par-dessus les sentimens de la nature ; que nous disions comme les apôtres : « Nous sommes persecutés et nous bénissons[1] », afin que la grâce soit non-seulement en nous, mais victorieuse en nous ; qu’ainsi en sanctifiant le nom de notre Père, sa volonté soit faite la nôtre ; que sa grâce règne et domine sur la nature, et que nos afflictions soient comme la matière d’un sacrifice que sa grâce consomme et anéantisse pourla gloire de Dieu ; et que ces sacrifices particuliers honorent et préviennent le sacrifice universel où la nature entière doit être consommée parla puissance de Jésus-Christ. Ainsi nous tirerons avantage de nos propres imperfections, puisqu’elles serviront de matière à cet holocauste : car c’est le but des vrais chrétiens de profiter de leurs propres imperfections, parce que « tout coopère en bien pour les élus[2]. »

Et si nous y prenons garde de près, nous trouverons de grands avantages pour notre édification, en considérant la chose dans la vérité comme nous avons dit tantôt. Car, puisqu’il est véritable que la mort du corps n’est que l’image de celle de l’âme, et que nous bâtissons sur ce principe, qu’en cette rencontre nous avons tous les sujets possibles de bien espérer de son salut, il est certain que si nous ne pouvons arrêter le cours du déplaisir, nous en devons tirer ce profit que, puisque la mort du corps est si terrible qu’elle nous cause de tels mouvemens, celle de l’âme nous en devroit bien causer de plus inconsolables. Dieu nous a envoyé la première ; Dieu a détourné la seconde. Considérons donc la grandeur de nos biens dans la grandeur de nos maux, et que l’excès de notre douleur soit la mesure de celle de notre joie. Il n’y a rien qui la puisse modérer, sinon la crainte qu’il ne languisse pour quelque temps dans les peines qui sont destinées à purgerle reste des péchés de cette vie ; et c’est pour fléchir la colère de Dieu sur lui

  1. I Cor., xv, 12.
  2. Rom., viii, 28.