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de la mort est naturelle, mais c’est en l’état d’innocence ; la mort à la vérité est horrible, mais c’est quand elle finit une vie toute pure. Il étoit juste de la haïr, quand elle séparoit une âme sainte d’un corps saint : mais il est juste de l’aimer, quand elle sépare une âme sainte d’un corps impur. Il étoit juste de la fuir, quand elle rompoit la paix entre l’âme et le corps : mais non pas quand elle en calme la dissension irréconciliable. Enfin quand elle affligeoit un corps innocent, quand elle ôtoit au corps la liberté d’honorer Dieu, quand elle séparoit de l’âme un corps soumis et coopérateur à ses volontés, quand elle finissoit tous les biens dont l’homme est capable, il étoit juste de l’abhorrer : mais quand elle finit une vie impure, quand elle ôte au corps la liberté de pécher, quand elle délivre l’âme d’un rebelle très-puissant et contredisant tous les motifs de son salut, il est très-injuste d’en conserver les mêmes sentimens.

Ne quittons donc pas cet amour que la nature nous a donné pour la vie, puisque nous l’avons reçu de Dieu ; mais que ce soit pour la même vie pour laquelle Dieu nous l’a donné. et non pas pour un objet contraire. En consentant à l’amour qn’Adam avoit pour sa vie innocente, et que Jésus-Christ même a eu pour la sienne, portons-nous à haïr une vie contraire à celle que Jésus-Christ a aimée, et à n’appréhender que la mort que Jésus-Christ a appréhendée, qui arrive à un corps agréable à Dieu ; mais non pas à craindre une mort qui, punissant un corps coupable, et purgeant un corps vicieux, doit nous donner des sentimens tout contraires, si nous avons un peu de loi, d’espérance et de charité. C’est un des grands principes du christianisme, que tout ce qui est arrivé à Jésus-Christ doit se passer dans l’âme et dans le corps de chaque chrétien : que comme Jésus·Christ a souffert durant sa vie mortelle, est mort à cette vie mortelle, est ressuscité d’une nouvelle vie, est monté au ciel, et sied à la droite du Père ; ainsi le corps et l’âme doivent souffrir, mourir, ressusciter, monter au ciel, et seoir à la dextre. Toutes ces choses s’accomplissent en l’âme durant cette vie, mais non pas dans le corps. L’âme souffre et meurt au péché dans la pénitence et dans le baptême ; l’âme ressuscite à une nouvelle vie dans le même baptême ; l’âme quitte la terre et monte au ciel à l’heure de la mort, et sied à la droite au temps où Dieu l’ordonne. Aucune de ces choses n’arrive dans le corps durant cette vie ; mais les mêmes choses s’y passent ensuite. Car, à la mort, le corps meurt à sa vie mortelle ; au jugement, il ressuscitera à une nouvelle vie ; après le jugement, il montera au ciel, et seoira à la droite. Ainsi les mêmes choses arrivent au corps et à l’âme, mais en différens temps ; et les changemens du corps n’arrivent que quand ceux de l’âme sont accomplis, c’est-a—dire à l’heure de la mort : de sorte que la mort est le couronnement de la béatitude de l’âme, et le commencement de la béatitude du corps,

Voilà les admirables conduites de la sagesse de Dieu sur le salut des saints ; et saint Augustin[1] nous apprend sur ce sujet que Dieu en a disposé de la sorte, de peur que si le corps de l’homme fût mort et ressus-

  1. De Civ. Dei, XIII, IV.