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POUR LES CURÉS DE PARIS.


défendit pas seulement, en général, de commettre adultère, mais qui le leur défendît en ces occasions particulières, ou il s’agiroit de sauver leur vie et leur honneur ?

Ne pourroit-on pas dire que les chrétiens pouvoient, sans crime, présenter de l’encens aux idoles, surtout en dirigeant leur intention à Dieu, parce que le commandement de ne point rendre d’honneur aux idoles, doit s’entendre de ne point le faire sans cause légitime, de quoi c’est à la raison à juger, comme le prétend l’apologiste ? Et il est certain qu’elle jugera facilement que la nécessité de sauver sa vie en est une cause assez légitime, puisque les plus sages d’entre les païens ont cru par leur raison, pour des causes beaucoup moins grandes que celle-là, avoir droit d’adorer extérieurement les dieux adorés par le peuple, dont ils connoissoient la fausseté ; et que des jésuites mêmes ont porté les Chinois à faire la même chose, dont on a fait tant de plaintes au pape.

Et pour revenir au commandement de ne point tuer, ne pourra-t-on pas dire que les Athéniens et plusieurs autres peuples, qui tuoient leurs enfans nouvellement nés, lorsqu’ils étoient trop chargés d’enfans, ou qu’ils étoient nés hors du mariage, n’étoient point pour cela coupables ; parce que la raison leur avoit fait juger qu’ils avoient alors une cause légitime de se dispenser du commandement général de ne point tuer ? Ne pourra-t-on pas dire avec encore plus de couleur, que tous les païens qui se sont tués eux-mêmes, et ceux principalement qui ne le faisoient qu’après en avoir demandé permission aux magistrats, comme il se pratiquoit en quelques villes, n’ont point violé ce commandement, parce que leur raison leur faisoit juger qu’ils avoient une cause légitime de s’ôter la vie, et que même cette cause avoit été approuvée par la république ?

Nous avons horreur de découvrir les suites étranges qui peuvent naître de ce principe ; car les plus détestables parricides ne se sont commis que par des personnes a qui la raison avoit fait juger qu’ils avoient une cause légitime de tu r ; et il est aisé de voir que ceux qui sont dans les plus grandes fortunes, sont les plus exposés il ces exceptions diaboliques du commandement de Dieu, dont la seule raison est le juge ; puisque tout homme qui sera persuadé que Dieu ne défend autre chose, sinon de ne point tuer sans cause légitime , et que o’est par la lumière naturelle qu’il doit discerner quand il est permis, ou quand il est défendu de tuer son prochain . trouvera cent occasions ou il croira , par sa raison, avoir une cause légitime de tuer ceux a qui il imputera, ou la ruine de · sa fortune, ou la perte de son honneur, ou le dommage de la religion. ou quelque autre chose semblable. C’est a ceux qui ont le plus d’intérêt, et pour eux-mêmes . et pour le public . à étouffer ces monstrueuses opinions, avant qu’elles aient pris racine dans l’esprit des hommes. Pour nous. nous en déchargeons nos consciences : et les plaintes que nous en faisons. serviront de témoignage à toute la postérité que nous n’avons rien oublié de tout ce qui étoit en notre pouvoir pour arrêter ces désordres.

Ce 7 mai 1668.