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TROISIÈME ET QUATRIÈME FACTUM


leur défendît, lorsque les parties les leur donnent, ou par amitié, ou par reconnoissance de la justice qu’ils ont rendue, pour les porter à la rendre à l’avenir, ou pour les obliger à prendre un soin particulier de leurs affaires, ou pour les engager à les expédier plus promptement, ou pour les préférer à plusieurs. »

Il ne se contente pas de justifier tous ces abus, il ose encore les attribuer à saint Augustin en ces termes : « C’est l’opinion de saint Augustin dans l’épitre LIV ad Macedonium, où, parlant des juges qui reçoivent des présens, il dit que la coutume les excuse : « Sunt aliæ personæ inferioris loci quae ab utraque parte non insolenter accipiunt, sicut officialis et a quo amovetur, et cui admovetur officium. Ab iis extorta per immoderatam improbitatem repeti solent, data per tolerabilem consuetudinem non solent ; magisque reprehendimus qui talia inusitate repetiverunt, quam qui talia de more sumpserunt. Il y a d’autres sortes de gens qui ne sont pas de si haute qualité, qui ont coutume de prendre des présens. De ce nombre sont les juges qui ont leur office par commission, ou bien en titre. »

Il y a autant d’ignorance que de mauvaise foi dans cette citation. L’ignorance consiste tant en ce qu’il a cru que parce que le nom d’Official signifie maintenant un juge ecclésiastique, le mot latin officialis signifioit un juge dans saint Augustin, qu’en ce qu’il traduit ces autres mots, « et a quo amovetur, et cui admovetur officium, » les juges qui ont leur office, ou par commission. ou en titre, ce qui est ridicule. Le mot d’Officialis du temps de saint Augustin ne signifioit point un juge, mais un sergent, un huissier, ou autres semblables personnes qui sont ministres des juges. Cela se voit par cette loi du code : «  De officio diversorum judicum. Nemo judex aliquem officialem ad eam domum in qua. materfamilias degit, cum aliquo prœcepto existimet esse mittendum, ut eamdem in publicum protrahat. » Et dans un autre titre du même code : « De lucris advocatorum , et concussionibus officiorum sive apparitorum ; » par où il paroît que officia ou offtciales sont la même chose que apparitores ; d’où vient que Tertullien appelle les anges officia Dei. Et c’est dans ce sens qu’on doit prendre le mot d’officium dans le passage de saint Augustin, et il doit être lu en cette sorte : « Sicut offcialis, et a quo admovetur (et non pas amocetur) , et cui admovetur officium » par où saint Augustin veut dire que, selon la coutume de ce temps-là, ces petits officiers de justice prenoient, et de ceux qui les employoient, « et a quo admovetur, » et de ceux envers qui on les employoit, « et cui admovetur ; » ce qui ne leur étoit point défendu, pourvu que ce qu’ils prenoient fût modéré.

Mais la mauvaise foi est encore plus grande que l'ignorance ; car saint Augustin, dans cette lettre LIV, où il parle des personnes qui ne peuvent point recevoir rémission de leurs péchés, qu’en restituant ce qu’ils ont pris, « non remittitur peccatum, nisi restituatur ablatum, » met de ce nombre les juges qui prennent des présens des parties, soit qu’ils les prennent pour rendre la justice, soit qu’ils les prennent pour rendre l’injustice. « Les juges, dit-il, ne doivent pas vendre un jugement juste, ni les témoins un témoignage véritable, encore que les avocats reçoivent de l'ar-