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TROISIÈME ET QUATRIÈME FACTUM


cheurs dans leurs désordres, en les dispensant de se faire la moindre violence, et en leur permettant de demeurer dans les occasions, et même dans les professions où ils sont en danger de se damner, s’ils n’ont pas de facilité a les quitter ; ce qui est horriblement contraire à l’Évangile, qui oblige à s’arracher et les mains, et les yeux même, si on en reçoit du scandale, pour nous apprendre qu’on doit se priver des choses qu’on ne peut quitter qu’avec une extrême douleur, quand elles nous sont occasion de péché. Cependant les jésuites osent non-seulement soutenir ces pernicieux sentimens, mais ils veulent encore les autoriser par saint Thomas, qu’ils citent pour cela (2-2, quæst. X , art.9). Mais on jugera de leur mauvaise foi, en voyant les paroles de ce saint, qu’ils se sont bien gardés de rapporter, parce qu’elles contiennent la condamnation expresse de la doctrine de ces casuistes. Les voici :

« L’Église, dit-il, défend aux fidèles d’avoir communication avec quelques personnes, pour deux raisons : la première, pour punir celui que l’on retranche de la communion avec les fidèles (ce qui n’a pas lieu à l’égard des païens, parce que l’Église n’a point d’autorité sur eux) ; la seconde est pour la sûreté de ceux à qui on défend d’avoir communication avec d’autres ; sur quoi il faut faire distinction des personnes, des affaires et des temps. Car si quelques fidèles sont fermes en la foi, de sorte que, par la communication qu’ils auroient avec les infidèles, on puisse plutôt espérer la conversion des infidèles, que craindre que les fidèles ne se pervertissent et ne quittent la foi, on ne doit pas les empêcher, principalement quand il y a quelque nécessité qui les y engage. Mais si ce sont des personnes simples et foibles dans la foi, desquels on puisse craindre probablement qu’ils ne se pervertissent, on doit leur défendre d’avoir communication avec les infidèles, et principalement d’avoir grande familiarité avec eux, et de hanter avec eux sans nécessité. » Ce saint ajoute que c’est pour cette raison que Dieu avoit défendu aux Israélites de s’allier avec les idolâtres de la terre de Chanaan ; et il confirme cette doctrine dans la réponse au troisième argument, où il dit, « qu’un esclave qui est soumis au commandement de son maitre, embrassera plutôt la religion de son maître fidèle, que non pas il fasse changer son maître de religion ; et c’est pourquoi il n’est pas défendu aux fidèles d’avoir des esclaves infidèles. Si néanmoins il y avoit du danger pour le maître, par la communication d’un tel esclave, il seroit obligé de l'éloigner d’auprès de lui, selon le commandement de Jésus-Christ dans l’Évangile : si votre pied vous scandalise, coupez-le et le jetez arrière de vous. »

Il est donc visible que ce passage est ridiculement allégué, pour montrer qu’on peut demeurer sans péché dans les occasions prochaines de péché, puisque ce saint y établit des principes tout opposés.

Mais ceux qui sont accoutumés à voir leur hardiesse ne s’étonneront pas de celle-ci : car ils se sont servis de ce même passage pour appuyer une doctrine qui y est contraire en propres termes. Au lieu que ce saint déclare qu’il n’est pas permis aux foibles d’aller entreprendre la conversion des infidèles ; ils allèguent ce même endroit, pour dire que cela leur est permis. C'est ce que fait le P. Banny (Théol. mor., t. IV,