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LETTRES.


discours que la gloire de Dieu pour objet, et presque point de communication hors de nous-mêmes, je ne vois point que nous puissions avoir de scrupule, tant qu’il nous donnera ces sentimens. Si nous ajoutons à ces considérations celle de l’alliance que la nature a faite entre nous, et à cette dernière celle que la grâce y a faite, je crois que, bien loin d’y trouver une défense, nous y trouverons une obligation ; car je trouve que notre bonheur a été si grand d’être unis de la dernière sorte, que nous nous devons unir pour le reconnoître et pour nous en réjouir. Car il faut avouer que c’est proprement depuis ce temps (que M. de Saint Cyran veut qu’on appelle le commencement de la vie) que nous devons nous considérer comme véritablement parens, et qu’il a plu à Dieu de nous joindre aussi bien dans son nouveau monde par l’esprit, comme il avoit fait dans le terrestre par la chair.

Nous te prions qu’il n’y ait point de jour où tu ne le repasses en ta mémoire, et de reconnoître souvent la conduite dont Dieu s'est servi en cette rencontre, où il ne nous a pas seulement faits frères les uns des autres, mais encore enfans d’un même père ; car tu sais que mon père nous a tous prévenus et comme conçus dans ce dessein. C’est en quoi nous devons admirer que Dieu nous ait donné et la figure et la réalité de cette alliance : car, comme nous avons dit souvent entre nous, les choses corporelles ne sont qu’une image des spirituelles, et Dieu a représenté les choses invisibles dans les visibles. Cette pensée est si générale et si utile, qu’on ne doit point laisser passer un espace notable de temps sans y songer avec attention. Nous avons discouru assez particulièrement du rapport de ces deux sortes de choses, c’est pourquoi nous n’en parlerons pas ici : car cela est trop long pour l’écrire et trop beau pour ne t’être pas resté dans la mémoire, et, qui plus est, nécessaire absolument, suivant mon avis. Car comme nos péchés nous retiennent enveloppés parmi les choses corporelles et terrestres, et qu’elles ne sont pas seulement la peine de nos péchés, mais encore l'occasion d’en faire de nouveaux et la cause des premiers, il faut que nous nous servions du lieu même où nous sommes tombés pour nous relever de notre chute. C’est pourquoi nous devons bien ménager l’avantage que la bonté de Dieu nous donne de nous laisser toujours devant les yeux une image des biens que nous avons perdus, et de nous environner dans la captivité même ou sa justice nous a réduits, de tant d'objets qui nous servent d’une leçon continuellement présente.

De sorte que nous devons nous considérer comme des criminels dans une prison toute remplie des images de leur libérateur et des instructions nécessaires pour sortir de la servitude ; mais il faut avouer qu’on ne peut apercevoir ces saints caractères sans une lumière surnaturelle ; car comme toutes choses parlent de Dieu à ceux qui le connoissent, et qu’elles le découvrent à tous ceux, qui l’aiment, ces mêmes choses le cachent à tous ceux qui ne le connoissent pas. Aussi l’on voit que dans les ténèbres du monde on les suit par un aveuglement brutal, que l’on s’y attache et qu’on en fait la dernière fin de ses désirs, ce qu’on ne peut faire sans sacrilège, car il n’y a que Dieu qui doive être la dernière fin comme lui seul est le vrai principe. Car, quelque ressemblance