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Quant aux yeux, il n’en exista jamais de pareils. Ils avaient une vie, une lumière, un magnétisme inconcevables. Malgré les veilles de chaque nuit, la sclérotique en était pure, limpide, bleuâtre, comme celle d’un enfant ou d’une vierge, et enchâssait deux diamants noirs qu’éclairaient par instants de riches reflets d’or : c’étaient des yeux à faire baisser la prunelle aux aigles, à lire à travers les murs et les poitrines, à foudroyer une bête fauve furieuse, des yeux de souverain, de voyant, de dompteur.

« Ces yeux extraordinaires, dès qu’on avait rencontré leur regard, empêchaient de remarquer ce que les autres traits pouvaient présenter de trivial ou d’irrégulier.

« L’expression habituelle de la figure était une sorte d’hilarité puissante, de joie rabelaisienne et monacale — le froc contribuait sans doute à faire naître cette idée — qui vous faisaient penser à frère Jean des Entommeures, mais agrandi et relevé par un esprit de premier ordre. »

Balzac possédait le double don d’un génie ardent et d’une patience de bénédictin ; il avait consacré les dix premières années de sa vie littéraire, 1819-1829, à se former la main en écrivant des romans signés d’un pseudonyme, et à amasser par des études solitaires aussi bien que par des observations sur le vif, ce fonds inépuisable d’où sont sortis les scènes si variées et les personnages si nombreux de la Comédie humaine, œuvre colossale, sans précédent, et le plus curieux, le plus intéressant monument littéraire de notre époque.

Les écrits de Balzac ne vieilliront pas et ne seront jamais démodés. — Cela tient à ce que, tout en faisant à l’idéal la part qui lui revient de droit dans une œuvre d’art, et tout en poussant à l’extrême le scrupule de la correction et de la forme, il a peint ses personnages en chair et en os, et les a fait agir dans les conditions réelles du milieu où il les a placés.

« Il ne les loge pas, tous ces beaux jeunes gens, dit Théophile Gautier, dans une mansarde de convention tendue de perse, à fenêtres festonnées de pois de senteur et donnant sur des jardins ; il ne leur fait pas manger « des mets simples, apprêtés par la main de la nature » et ne les habille pas de vêtements sans luxe, mais propres et commodes ; il les met en pension bourgeoise chez maman Vauquer, ou les accroupit