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La Muse


Dans le jardin baigné de lune et de silence,
Quand elle eut enflammé ma native indolence,
Des mains cherchant les mains qui suivent les aveux,
Elle laissa tomber ses nocturnes cheveux
Sur les nobles contours de sa chair éternelle
Et me dit de la voix aimée et maternelle :
« Doux platonicien qui fais de tes douleurs
Un étrange bouquet d’impérissables fleurs,
Grand cœur que meurtriront maintes roses fanées
Et sur qui n’a rien fait la fuite des années,
Ô triste et frêle enfant conçu dans trop d’amour,
Tu sauras les fardeaux qui pèsent tour à tour
Sur le cœur ignoré des bons et des timides ;
Si je lis bien au fond des larges yeux limpides
Que mes baisers du soir ont maintes fois fermés,
Tu seras de ceux-là qui veulent être aimés
Et malheureux, par suite, à la façon des femmes.
Je t’aime, mais ton âme, enfant, est de ces âmes
Si pleines de désir et si chaudes d’espoir,
Que je me jugerais criminelle le soir
Où mes lèvres enfin se colleraient aux tiennes
Et, dans l’embrasement des voluptés païennes,