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Océan fraternel, ton argile est la nôtre !
Ce que tu vas hurlant sans fin d’un pôle à l’autre
Et ce que Dieu répond à ton flot éperdu,
Dans le gouffre du cœur nous l’avons entendu ;
Car nous aussi n’avons en nous que des abîmes,
L’homme a contre l’écueil tes élans, plus sublimes,
Et, comme toi, vivant de ce qui fait mourir,
Souffre d’un mal que rien d’humain ne doit guérir !
Ainsi qu’en un tombeau la lampe funéraire
Verse à chaque cadavre une égale lumière,
L’âme et toi, vous portez une égale douleur.
Tous les deux, vous roulez de l’ombre et de l’horreur :
Votre flot a des morts dans son âpre amertume,
Toujours sous quelque orage il lutte dans l’écume,
Et quand il vient, brisé, retomber sur le bord,
C’est pour bondir plus haut et pour gémir plus fort !
Océan, — Océan misérable et superbe !
Qui te tords à côté du paisible brin d’herbe,
Ta gloire, ta beauté, ta loi, c’est la douleur !
Les âmes t’ont compris, car ton mal, c’est le leur :
Tu ne te plaindrais pas si tu n’étais immense !…
Et s’il faut que toujours là haut ton flot s’élance,
Que l’âme et toi, tous deux sans repos et sans fond,
Toujours vous gémissiez devant le ciel profond,
Ah ! c’est que vous cherchez votre source immortelle,
Où les vents d’ici-bas un jour n’auront plus d’aile,
Où vos flots, à tous deux, au sein d’une autre Mer,
Sans gouffre et sans écueil n’auront plus rien d’amer.