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passera les monts. Dans Turpin, il lui donne en outre l’idée — dont l’émir aurait pu s’aviser tout seul — de cacher ses troupes dans les bois et les montagnes qui entourent Roncevaux ; dans la Chanson, il ne lui suggère même pas ce facile stratagème : il se contente de lui promettre qu’il fera placer Roland à la tête de l’arrière-garde. C’est qu’en effet il n’y avait guère déplace, dans l’affaire de Ronce vaux, pour la trahison d’un Français[1] ; mais l’imagination populaire veut à toute force, on le sait, expliquer la défaite par la trahison.

Il résulte de toutes ces remarques, — dont je demande qu’on veuille bien excuser la longueur et la minutie, — que la Chanson de Roland repose certainement, à l’origine, sur une connaissance directe des faits, des hommes et des lieux, et présente même en certains points une concordance tout à fait remarquable avec les renseignements fournis par l’histoire ; mais que la forme où elle nous est arrivée, postérieure de trois siècles à la forme première, est extrêmement éloignée de celle-ci et est due en très grande partie aux inventions successives d’amplificateurs et remanieurs qui

  1. On aurait pu faire intervenir un chef navarrais, joignant ses troupes à celles de Charles, puis passant, au moment du combat, du côté de l’ennemi prévenu par lui.