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FRANÇOIS VILLON.

membres partageaient leur vie entre l’école ou le palais et la taverne ou l’hôtel de Margot.

Je dirai plus tard ce que Villon paraît avoir connu de la littérature proprement française, — c’est peu de chose en somme, — et quelle place il occupe dans l’évolution de la poésie au xve siècle. Mais ce ne furent pas ses lectures, quelles qu’elles fussent, qui formèrent surtout son esprit et préparèrent son talent. Il avait reçu de la nature; une faculté d’observation aiguë, à laquelle il sut joindre, quand il se manifesta comme poète, une puissance toute personnelle d’expression. Dans ses vagabondages à travers les rues de Paris, rien n’échappait à son regard, et tout se gravait dans sa mémoire d’un trait précis et vivant. Il apprenait, au milieu de ses fredaines, de ses repues franches et de ses méfaits, à connaître sous tous leurs aspects la joie et la souffrance, la misère et le plaisir, les angoisses du péril et l’exaltation de la réussite, l’ivresse grossière des nuits et l’amer déboire des lendemains, le cynisme et l’humiliation, l’emportement brutal et le remords déchirant. Et en même temps il emplissait ses yeux et garnissait sa mémoire de toutes les formes qui passaient devant lui, de toutes les figures d’hommes et de femmes, graves ou comiques, grimaçantes ou rieuses, entre lesquelles il circulait, aimé de l’une, rossé par l’autre, escroquant celui-ci, buvant avec celui-là, fuyant devant les archers, battant le pavé avec ses compagnons, faisant couler tour à tour et essuyant par ses caresses les larmes de sa mère. Il emmagasinait ainsi une provision d’images dont il devait orner plus tard la lanterne magique éclairée par sa verve