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L’ŒUVRE.

devine l’effet qu’elles devaient produire sur ceux qui les entendaient pleinement, tant l’agencement même des mots, souvent imprévus, est plein d’enjouement communicatif. Lisez par exemple ce huitain, où il ridiculise un personnage dont nous savons seulement qu’il était sergent à verge au Châtelet ; nous entendons d’ici les risées des auditeurs familiers avec la victime et nous voyons le dépit de celle-ci :

Item, donne au Prince des Sots,
Pour un bon sot, Michaut du Four,
Qui à la fois[1] dit de bons mots
Et chante bien Ma douce amour.
Je lui donne, avec le bonjour ;
Brief, mais qu’il fust[2] un peu en point,
Il est un droit sot de séjour[3],
Et est plaisant… ou il n’est point.

Ses plaisanteries ne sont pas toujours délicates, ni fines, il tombe souvent, et sans le faire exprès, dans une basse trivialité, comme font d’ailleurs presque tout ses contemporains, et il abuse du jeu de mots, bien qu’il en tire parfois d’heureux effets[4]. Mais il a une verve jaillissante qui entraine et à laquelle on pardonne ses écarts. Sa langue est inégale : obscure, empêtrée et maladroite quand il veut l’élever au style noble, elle est souvent d’un tour vif et aisé, d’un jet dru, d’une précision merveilleuse. Le besoin de la rime, qui revient si rigoureusement dans ses huitains sur trois rimes et surtout dans ses ballades, le fait

  1. De temps en temps.
  2. S’il était seulement.
  3. Dispos, frais (se dit proprement d’un cheval bien reposé).
  4. La reine Blanche ou blanche comme lis, où blanche est nom propre ou nom commun, est un vers délicieux par son équivoque même.