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L'ŒUVRE.

sonnages célèbres emportés par la Mort, destinées à nous remettre sous les yeux la fragilité de la vie, et cette forme même de l’interrogation que présentait déjà la chanson médiévale, encore aujourd’hui chantée par les étudiants allemands : Ubi sunt qui ante nos in mundo fuere ? Mais l’écolier parisien a su faire de ce lieu commun une des perles les plus rares de la poésie de tous les temps, d’abord en évoquant dans son rêve que des figures de femmes, puis en les choisissant avec un art ou plutôt un instinct merveilleux, les unes à peine reconnaissables et passant vaguement devant les yeux, comme Biétris, Allis, cette mystérieuse « Haremburgis qui tint le Maine », ou cette reine « blanche comme lis » dont le nom même nous reste inconnu ; d’autres éveillant les lointains souvenirs de la mythologie ou de l’antiquité : Echo, Flora « la belle Romaine », Thaïs[1]; les autres enfin prises aux souvenirs populaires : Berte aux grands pieds, « la très sage Héloïs », la reine qui fit jeter Buridan en Seine; enfin, tout en dernier, après le défilé de ces ombres gracieuses, une figure toute moderne et poignante, « la bonne Lorraine qu’Anglais brûlèrent à Rouen ». Les rimes caressantes en is et en aine bercent doucement la rêverie, et pour l’enchanter le poète a trouvé le refrain exquis, évoquant une image à la fois passagère, éclatante et frêle comme celle même des fantômes qu’il fait passer devant nous :

Mais ou sont les neiges d’antan ?

  1. . On a vu plus haut (p. 46) à quelle méprise est dû le nom d’Archipiada, sous lequel se cache Alcibiade. L’honneur de cette jolie trouvaille revient à M. Ernest Langlois, professeur à l’université de Lille.