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L’ŒUVRE.

invectif[1] a mérité d'être appelé, au VIe siècle, « le père de l'éloquence française ». Le poète n'est pas toutefois à dédaigner, ne fût-ce que pour l'extraordinaire succès qu'il obtint. Sa poésie offre un singulier mélange de badinage et de sérieux, de sentimentalité parfois subtile et de grâce toujours un peu maniérée. Dans le Livre des quatre dames, composé après Azincourt, il a trouvé moyen d’introduire des pensées élevées, inspirées par un patriotisme sincère, dans ce cadre factice du débat amoureux emprunté, comme le fond même de l'œuvre, à Guillaume de Mâchant. Dans le Réveille-matin, dans le Débat des deux fortunés d'amour, et surtout dans la Belle dame sans merci, il a créé la forme qui devait être celle de presque toutes les poésies du siècle : il a pris le huitain de vers octosyllabiques, très employé dans la ballade, composé sur trois rimes dont l'une revient quatre fois (a b a b b c b c), mais dépouillé de refrain et ne rimant pas avec le précédent et le suivant[2], et il s'en est servi pour construire des poèmes de médiocre étendue, consacrés à des thèmes de cette galanterie factice, à moitié tendre, à moitié ironique, que l'on trouvait déjà dans le Livre des Cent ballades, mais qui ne s’était

  1. On trouve déjà cette forme dans quelques œuvres très antérieures à Chartier, par exemple dans une jolie romance du xIIIe siècle sur un épisode du roman de Floire et Blanchefleur ; mais il semble bien qu'Alain l'ait inventée de nouveau (il y en a cependant quelques rares exemples à une époque un peu antérieure à la sienne).
  2. Par un raffinement postérieur, Coquillart et ses imitateurs donnèrent à chaque huitain pour première rime la dernière du huitain précédent, en sorte que tout le poème forme une chaîne ininterrompue.